La pépite française Liegey Muller Pons propose un logiciel d’analyse de données sociodémographiques.
Après avoir travaillé pour François ­Hollande, elle aide le ministre de ­l’Economie dans sa quête du pouvoir.

Jusqu'où la fusée Emmanuel Macron s'envolera-t-elle ? Le populaire ministre de l'Economie a mis sur orbite son propre mouvement : En marche, qui va déboucher sur une « grande marche ». C'est-à-dire une campagne de porte-à-porte dans toute la France pour laquelle 12.000 personnes se sont portées volontaires (sur les 50.000 adhérents au mouvement), et où une partie d'entre elles ira recueillir idées et doléances des citoyens. L'objectif ? Toucher un échantillon de 100.000 personnes jugées représentatives de la population française. Cette opération doit débuter ce samedi et devrait se prolonger jusqu'à fin juillet.

Pour la mener à bien, Emmanuel Macron s'est appuyé sur la technologie d'une start-up française : Liegey Muller Pons, du nom de ses trois fondateurs. Celle-ci a mis au point un logiciel qui croise données sociodémographiques et cartographie électorale permettant d'identifier là où le fer doit être porté lors d'une campagne de porte-à-porte. En sus, la jeune pousse propose la mise en place d'une base de gestion de contenus permettant notamment d'optimiser les campagnes de mailing et de SMS. «  C'est une sorte de "CRM politique" », expose Guillaume Liegey. Pour la grande marche, Liegey Muller Pons a identifié les quartiers témoins et va aussi former quelque 300 coordinateurs pour ce porte-à-porte que les trois fondateurs vont planifier à l'échelle nationale. Une application mobile a aussi été mise au point et va permettre de faire remonter les informations récoltées sur le terrain par les « marcheurs » auprès de leurs 100.000 interlocuteurs.

Porte-à-porte et numérique

Derrière cette start-up, ils sont trois trentenaires strasbourgeois. Deux ont squatté les bancs d'Harvard, et le dernier était au MIT. En 2008, ils participent, en tant que volontaires, à la première campagne présidentielle de Barack Obama, et se rendent compte de l'importance grandissante des outils numériques mais aussi du... porte-à-porte. Et que mélanger neuf et vieux peut donner un cocktail gagnant. Grâce aux premiers qui permettent de cibler finement la population, le second peut devenir un outil efficace de mobilisation.

Dès 2010, les trois compères exportent l'idée en France et sont aux côtés de Jean-Paul Huchon pour les régionales en Ile-de-France. «  On nous a ri au nez, mais dans les quartiers ciblés, on a pu augmenter la participation de 4,5 points », se souvient Guillaume Liegey. Après les primaires du PS fin 2011, Vincent Feltesse les contacte en vue de la présidentielle. Le casting est concluant et le Monsieur numérique de François Hollande les nomme responsables de la coordination de la campagne sur le terrain. Sous leur aile, une équipe d'une quinzaine de personnes doit planifier le travail des quelque 80.000 volontaires. Ce test grandeur nature valide leur modèle. « Cela a permis de faire gagner près de 300.000 voix à François Hollande sur chacun des deux tours », estime Guillaume Liegey.

Stratégie électorale

Fin 2012, les statuts de la start-up sont déposés et en avril 2013, le premier contrat est signé avec le parti vert allemand qui bat la campagne en Bavière pour les élections fédérales. Dans les mois qui suivent, la jeune pousse met au point son propre logiciel. Intitulé « Cinquante plus un » - parce qu'il faut avoir 50% des votants plus une voix pour remporter un scrutin majoritaire - le software « made in Liegey Muller Pons » est opérationnel pour les municipales de 2014. Anne Hidalgo à Paris, Vincent Feltesse (Bordeaux) ou encore Pierre Cohen (Toulouse), en tout 69 candidats PS s'arment de « Cinquante plus un », le parti ayant négocié un droit d'usage exclusif pour ces élections. En septembre 2014, la start-up lève 354.000 euros auprès de leurs familles et connaissances pour développer la deuxième version du logiciel. Concernant son offre, le tarif de base se monte à 3.000 euros par an, uniquement pour la mise à disposition de ses outils numériques. Ce qui ne comprend pas toute la partie conseil de cette société qui se revendique être la « première start-up de stratégie électorale en Europe ». Ces deux dernières années, Liegey Muller Pons a embauché 7 salariés et a travaillé pour le PS belge, le PSOE en Espagne ou encore pour des députés du Parti travailliste en Grande-Bretagne. Un tropisme pour les partis de gauche qui ne répond pas à un positionnement idéologique, en dépit de leur ancien encartage au PS. «  On a commencé avec le PS et les partis de gauche européens se parlent beaucoup. On a bénéficié de ce bouche-à-oreille », explique Guillaume Liegey. « En ce moment, on travaille pour Corrado Passera qui est du centre-droit et se présente à Milan. Lors des départementales de 2015, on a aussi équipé quelques candidats des Républicains », ajoute-t-il. Une offre qui séduit aussi bien à gauche qu'à droite. Pas de quoi troubler Emmanuel Macron.

Nicolas Richaud, Les Echos