Mathieu Plane : Il y a eu des politiques de relance post-crise en 2008-2009 : les Etats-Unis et la zone euro ont connu une crise à peu près similaire à ce moment-là et leurs économies s'étaient redressées sous l'impulsion de politiques monétaires et budgétaires. Ce n'est qu'à partir de début 2011 que la zone euro et les Etats-Unis prennent des trajectoires différentes. C'est à moment-là que l'Europe fait le choix de politiques budgétaires d'austérité extrêmement violentes alors que les Etat-Unis ont eu dès le début des politiques monétaires extrêmement souples et des politiques budgétaires qui étaient beaucoup moins restrictives au départ.
Début 2011, alors que la croissance repartait, l'investissement repartait, l'emploi repartait, le chômage baissait, la zone euro connait un double deep et c'est à ce moment-là que l'écart avec les Etats-Unis (ou le Royaume-Uni) se creuse. Les choix de politique économique ont été désastreux : je ne crois pas qu'il fallait entretenir une relance permanente, mais il fallait mettre en place des politiques monétaires plus souples dès le début (la zone euro a fait ce qu'ont fait les Etats-Unis mais avec beaucoup de retard), et sur la politique budgétaire, il aurait fallu faire une consolidation budgétaire raisonnable. A l'inverse, l'Europe est rentrée dans une spirale d'austérité par les règles budgétaires : il y a eu un sur-calibrage des politiques d'austérité qui ont entraîné des récessions importantes dans beaucoup de pays avec pour conséquence une réduction des déficits beaucoup moins rapide que prévue (puisqu'il y avait moins de recettes fiscales et sociales et plus de chômage). Face à cela, il a été choisi de faire plus d'austérité (au lieu d'en faire moins) pour atteindre les objectifs de déficit.
L'énorme gâchis a été le fait qu'au début de son quinquennat, François Hollande n'a pas réussi à réformer les traités. Il y avait pourtant un moment décisif pour dire que certes il fallait redresser les comptes publics mais pas au détriment de la croissance, de l'investissement et que donc il fallait manœuvrer sur des règles budgétaires plus intelligentes. Il y avait d'autres moyens d'arriver aux mêmes résultats en termes de déficit et de dette mais sans avoir un tel gâchis social.
Il est impossible d'estimer le taux de chômage que connaîtrait France si de telles réformes et politiques avaient été menées. On peut en revanche estimer la perte de croissance depuis 2011. Elle est d'une part liée aux chocs budgétaires en France (notre propre politique budgétaire de consolidation). D'autre part, elle est liée au fait que les partenaires commerciaux de la France -étant essentiellement dans la zone euro- ont pratiqué la même politique, il y a donc eu un effet de retour des politiques d'austérité de nos voisins chez nous par le canal du commerce extérieur. Si on prend ces deux éléments, on voit que cela a amputé la croissance de 5 points de PIB depuis 2011, ce qui est conséquent. Autrement dit, si on avait fait des politiques budgétaires neutres, on aurait 5 points de PIB supplémentaires aujourd'hui. Par ailleurs, pour avoir une consolidation budgétaire plus light, il aurait fallu des institutions qui protègent et que la banque centrale protège et garantisse les dettes, c’est-à-dire qu'elle fasse rempart contre le risque de dégradation des notes de qualité des dettes et contre les risques d'attaques des marchés financiers sur certains pays. La surenchère d'austérité était liée au fait qu'on était exposé aux marchés financiers. Cette exposition a créé une peur de perte de souveraineté et la solution trouvée a été de faire de la consolidation extrêmement violente. La réforme des traités devait prendre en compte ces deux dimensions : d'une part, instaurer des règles budgétaires qui permettaient une consolidation budgétaire plus "soft", d'autre part, permettre que les institutions, notamment au travers de la politique monétaire, garantissent la possibilité de le faire.
Nicolas Goetzmann : Les Etats Unis, le Japon, le Royaume Uni sont tous parvenus à retrouver un niveau de plein emploi, il n’est donc pas question de parler de fatalité, mais bien d’erreurs de politique économique. En 2008, la France affichait son plus bas taux de chômage depuis 1983, soit 6.8% en France métropolitaine selon les chiffres de l’INSEE. Entre 2006 et 2008, ce taux avait baissé de 2 points, signe que faire baisser le chômage est une possibilité. Le problème, en 2016, est que le nombre de chômeurs de longue durée a explosé, et que ces personnes perdent de leur "employabilité" au fil du temps. Un chômage conjoncturel mute peu à peu en chômage structurel, ce qui correspond, en partie, à la perte de potentiel économique du pays. Voilà pourquoi subir une crise est une chose, cela peut arriver, l’inconnu existe, mais l’absence de réaction des autorités en est une autre. Les Etats-Unis en ont été capables, la Chine, le Japon, le Royaume-Uni, tous sont parvenus, avec un temps plus ou moins décalé, à agir comme il se devait, c’est-à-dire en appuyant largement sur l’arme monétaire. L’Europe est restée en retrait, sûre d’elle-même. Elle doit aujourd’hui faire face à ses résultats. François Hollande ne semble jamais l’avoir compris, aucun mot, aucun discours, ne laisse penser que cette situation ait pu être prise en compte. François Hollande a été contre-productif dans sa politique nationale en menant une politique d’austérité par la voie de la hausse d’impôts, puis une politique de compétitivité totalement décalée par rapport aux enjeux. Et en ce qui concerne le volet européen, c’est plutôt l’absence de François Hollande qui peut être soulignée.
Mathieu Plane : Le problème est avant tout un problème de gouvernance européenne. L'Europe n'a pas vraiment tiré les leçons de la crise. Pourtant, nous sommes nombreux à avoir tiré un enseignement de ce qui s'est produit en Europe. FMI, OCDE, OFCE, tous nous montrons l'importance de la question des multiplicateurs budgétaires, c’est-à-dire que l'austérité ne produit pas les mêmes effets selon les situations des économies : quand le chômage est élevé, que l'économie est en crise, que l'on a peu de possibilités de dévaluer les monnaies, quand les partenaires commerciaux ne sont pas des soupapes de croissance parce qu'ils sont eux aussi en récession, alors l'austérité a un impact très négatif.
Autant l'enclenchement de la crise des subprimes est très complexe (ce qui explique qu'elle a été difficile à anticiper), autant la crise de l'Europe à partir de 2011 (le double deep et tout ce qui s'est produit) était en termes de croissance beaucoup plus anticipable.
Il commence à y avoir un consensus très partagé dans le monde académique sur la question de la régulation macroéconomique qui reste pour le moment un échec puisque cela n'a pas donné lieu à des traductions politiques. La faute continue d'être renvoyée au niveau individuel, aux pays (problèmes infra-structurels, problèmes du marché du travail) sans aucune vision macroéconomique. Le micro est toujours séparé du macro et on ne voit pas que les crises sont très imbriquées. Tant qu'on n'aura pas une politique de la zone euro tournée sur la régulation macroéconomique -comme ce que font les autres zones du monde-, on aura ce problème-là et on renverra la balle sur les pays et sur les problèmes de réforme structurelle. Toutes ces réformes structurelles sont faisables s'il y a une régulation macroéconomique. Les pays anglo-saxons, notamment les Etats-Unis, ont un marché du travail très flexible mais avec beaucoup de régulation macroéconomique, dans la zone euro et en France, on se dirige vers plus de flexibilité sans régulation macroéconomique, ce qui est un véritable problème.
Nicolas Goetzmann : Pour que la zone euro et la France repartent sur un rythme acceptable, il sera nécessaire de donner un mandat bien plus agressif à la Banque centrale européenne, en y incluant la recherche du plein emploi, comme cela est fait aux Etats Unis. Déjà, avec une telle mesure, 75% du chemin sera fait. Si une telle solution paraît simple dans l’idée, sa mise en place politique est une autre histoire. Car il s’agit de convaincre l’Allemagne, et l’ensemble des pays du nord des bienfaits d’une telle refonte. Or, pour l’Allemagne notamment, qui est actuellement en situation de plein emploi, toute hausse importante du niveau d’activité aurait pour conséquence une accélération de la progression des salaires, ce qui provoquerait une perte de compétitivité du pays. De la même façon, si l’économie européenne allait mieux, l’Allemagne deviendrait moins attrayante pour les jeunes européens. Or, le pays recherche désespérément de jeunes éduqués pour pallier son déclin démographique. Mais la raison la plus claire d’une opposition allemande à une telle réforme repose sur la peur panique que représente un léger surcroît d’inflation dans un pays ayant une structure d’âge très avancée.
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