Dans un bureau de vote de la province thaïlandaise de Narathiwat, le 7 août 2016
Les Thaïlandais ont adopté dimanche une nouvelle Constitution très controversée, qui permettra à la junte au pouvoir de contrôler la scène politique, même après le retour à des élections.
Selon des résultats préliminaires portant sur 90% des bulletins, 62% des votants se sont exprimés pour la nouvelle Constitution. Une avance irréversible, même si les résultats définitifs ne seront annoncés que mercredi.
L'opposition y a vu le résultat des "pressions" exercées sur elle avant le vote - "comme dans toute dictature", a souligné Nattawut Saikua, un des meneurs des Chemises rouges, puissant mouvement d'opposition.
Avec d'autres opposants, il a été convoqué cette semaine par la police, dans un pays où critiquer le référendum est passible de prison.
"Ce référendum signifie que la démocratie mettra un peu plus de temps pour revenir", a-t-il ajouté, résigné, sans appeler ses partisans à descendre dans la rue.
"C'est l'avenir de la Thaïlande... C'est la démocratie, venez voter", avait lancé aux 50 millions d'électeurs le chef de la junte, le général Prayut Chan-O-Cha, en déposant son bulletin dans l'urne dimanche.
Aux manettes depuis le coup d'Etat de 2014 contre le dernier gouvernement élu, les militaires ont cependant pipé les dés en empêchant tout débat sous peine de prison, et en arrêtant ou en rappelant à l'ordre les militants du non. Dimanche encore, un étudiant ayant déchiré son bulletin de vote en signe de protestation a été interpellé.
En l'absence de débat de fond, les tracts distribués en amont du vote par la Commission électorale, dont l'impartialité est sujette à caution, insistaient sur "le bonheur" à venir, avec des photos d'enfants souriants.
Ce que les tracts officiels ne disent pas, c'est que le Sénat ne sera plus élu mais nommé: même après le retour des élections, le Parlement se retrouvera sous la coupe d'une chambre haute que les généraux continueront de contrôler.
Les partisans du oui rencontrés dans les bureaux de vote dimanche mettaient en avant le fait que cette Constitution permettra selon eux de débloquer la scène politique et d'organiser des élections législatives en 2017 - ce que ne cesse de marteler la junte.
- Retour à la normale ? -
Dépouillement dans un bureau de vote de Bangkok, le 7 août 2016 © BORJA SANCHEZ-TRILLO AFP
"Je veux que la situation revienne à la normale et je veux des élections", a expliqué parmi eux à l'AFP Potchana Surapitic, 53 ans, rencontrée dans un bureau de vote de Bangkok.
Les partisans du non dénoncent quant à eux une "Constitution de voleurs", qui fait l'unanimité de la classe politique civile contre elle.
"Les auteurs du coup d'Etat ont déchiré l'ancienne Constitution et nous ont volé nos droits, en se mettant en position de contrôler le gouvernement", notamment via un Sénat élu, ne décolère pas Ohm Kontaogan, qui a tenu à se déplacer pour exprimer son désaccord.
Avec des élections législatives désormais plus que certaines en 2017, la junte au pouvoir n'est cependant pas prête à lâcher le pouvoir.
Pas avant d'avoir modifié en profondeur le système politique, afin d'empêcher durablement le retour aux manettes de l'opposition, incarnée par l'ex-Premier ministre Thaksin Shinawatra et sa soeur Yingluck, dont le gouvernement a été balayé par le coup d'Etat de 2014.
Jusqu'ici, les militaires avaient principalement eu recours aux coups d'Etat, dès 2006 pour Thaksin. Mais les Shinawatra étaient toujours revenus au pouvoir sitôt des élections organisées.
Cette fois-ci, il s'agit pour les élites ultra-royalistes, au premier rang desquelles l'armée, de verrouiller le système, dans une période d'inquiétude sans précédent quant à l'avenir de la royauté, le roi Bhumibol, 88 ans, étant hospitalisé et invisible depuis des mois.
Et cette nouvelle Constitution en est un outil clef.
Les Chemises Rouges, puissant mouvement de soutien à Thaksin et Yingluck Shinawatra, très populaires dans le nord et le nord-est, semblent opter pour le profil bas.
Yingluck Shinawatra a voté elle-même dimanche et renouvelé son appel aux électeurs à se rendre aux urnes pour exprimer leur opinion. Mais sans se risquer à une consigne de vote.
07/08/2016 14:55:37 - Bangkok (AFP) - © 2016 AFP