• Abdennour Bidar, philosophe : «Il y a des liens à recoudre»

    Publié le 02/11/2016 à 08:05         LIEN

    Abdennour Bidar, philosophe : «Il y a des liens à recoudre»

    Société

    Abdennour  Bidar, philosophe : «Il y a des liens à recoudre» Abdennour Bidar, philosophe : «Il y a des liens à recoudre»

    En ce jour de lancement de «Fraternité générale», pourquoi une telle opération, quel est le programme ?

    Le programme sera celui que les gens en feront, partout en France : c'est un appel à la mobilisation, à l'engagement, à l'initiative citoyenne et à l'imagination créatrice. Organisation de concerts, festivités, repas, forums de débats, etc. Il s'agit de donner à a fraternité – cet idéal resté trop longtemps idéal – une réalité concrète face à la gravité de toutes nos fractures sociales et culturelles.

    S'agit-il des prémices d'un «ministère de la Fraternité» que vous appeliez de vos vœux à Toulouse lors du Marathon des mots 2014 ?

    On peut rêver, je continue de rêver. À quand des politiques publiques – de partage, d'économie sociale et solidaire, de lutte contre la pauvreté, de réconciliation culturelle entre tous les Français divisés par leurs identités – réunies sous le grand et beau nom de fraternité ? On a besoin de grands symboles comme celui-ci, et aussi d'actes dans ce pays qui se nourrit de trop de discours, et qui laisse trop proliférer les séparations sociales entre riches et pauvres, musulmans et non musulmans, etc.

    Peut-on être laïque et croyant ? Et pratiquant ?

    Bien sûr, laïque ne veut pas dire athée ! La laïcité, c'est la garantie égale pour ceux qui croient au Ciel et ceux qui n'y croient pas des mêmes libertés, droits et devoirs. La limite de l'expression publique de la foi religieuse, dans un Etat laïque, c'est l'affirmation inacceptable que la loi de Dieu serait supérieure à la loi des hommes – c'est-à-dire à la démocratie. Lorsqu'une religion devient ainsi politique, c'est-à-dire prétend que la loi se plie à son dogme, ce n'est pas recevable.

    Trois jours après les «rencontres de la laïcité» auxquelles vous participiez à Toulouse, c'étaient les attentats du 13 novembre. Depuis les assassinats commis par Mohamed Merah, la violence va croissant dans notre pays…

    Oui, raison de plus pour réagir, avec lucidité, en gardant la tête froide. Ce qui suppose de ne pas écouter les prêcheurs de haine, qui voudraient faire de l'islam et des musulmans l'ennemi public n° 1 de la République. En réalité, il s'agit avec tous les musulmans parfaitement intégrés, il y en a des millions, de fixer une limite claire et nette aux revendications de l'intégrisme, et de travailler ensemble pour que les ghettos sociaux où prolifère le salafisme, ce cancer de l'islam, ne soient plus des territoires perdus de la République. Fermeté face au radicalisme et justice sociale.

    Un point de non-retour qui a jeté aux oubliettes «l'esprit du 11 janvier» ? Qui s'en souvient ! ?

    Non ! Désolé, il n'a pas été oublié. Des milliers d'engagés partout en France travaillent à recréer du lien social. Mais nos médias préfèrent parler de tout ce qui va mal. Dans mon précédent livre, «Les Tisserands», je parle au contraire de toutes celles et ceux qui, au quotidien, œuvrent à «réparer ensemble le tissu déchiré du monde». Voilà ce qu'il faut faire entendre, l'émergence d'un monde plus solidaire, partageur, tolérant. Pour qu'enfin cela fasse basculer notre société au-delà de cette période noire où nous nous laissons accabler et désespérer par la prise en compte exclusive de tout ce qui va mal.

    Vous espérez depuis des années entendre de grandes voix de l'islam s'élever contre le cancer de l'islamisme terroriste, les avez-vous captées ?

    Je m'attache surtout à donner une voix à toutes ces musulmanes et tous ces musulmans qui réalisent en silence, dans leur vie de tous les jours, une conciliation réussie entre leur culture spirituelle et leur inscription dans notre société. Car du côté de l'islam, il y a une profonde fracture entre ceux qui reviennent à des traditions périmées, une religiosité stéréotypée, et ceux qui cherchent à réinventer leur rapport à l'islam, à s'émanciper de la tradition et de ses normes. C'est avec ceux-ci qu'il faut construire un contre-modèle à l'islamisme. Je m'attache à le faire par ma contribution de philosophe, en élaborant une «pensée critique et créatrice» qui renouvelle complètement le sens du spirituel en islam.

    La campagne présidentielle est lancée. Que vous inspire le thème de l'étranger et des réfugiés dans la primaire de la droite ?

    C'était prévisible : exploitation des peurs, des inquiétudes, excitation irresponsable de la tentation du repli sur soi. J'espère que les Français ne tomberont pas dans le piège de cette désignation des musulmans, des immigrés, des migrants, comme boucs émissaires de notre crise sociale et culturelle.

    Le repli sur soi, le communautarisme déchirent le tissu social, quelle couture proposez-vous ?

    La couture, la culture du triple lien : lien à soi, lien à l'autre, lien à la nature et l'univers. La mère de toutes nos crises est une crise de ces trois liens vitaux, nourriciers pour la vie humaine. Le lien de l'écoute, de la connaissance et de l'accomplissement de soi. Le lien de coopération, de partage et de fraternité sans frontières avec autrui. Le lien de respect avec la nature et l'animal, et d'émerveillement face à la puissance créatrice de cette nature. Cette couture des liens est de nature spirituelle, ce qui ne veut pas dire religieuse, parce qu'en cultivant ces trois liens nous grandissons en humanité. Dès lors, notre responsabilité collective est inséparablement politique et spirituelle… dans un cadre laïque !

    « Michel Aoun à Baabda. Les défis d'un mandatSoupçons de financement libyen de la campagne de Sarkozy : que retenir de l'enquête du "Monde" ? »
    Partager via GmailGoogle Bookmarks

    Tags Tags : , , , , , , , , , ,
  • Commentaires

    Aucun commentaire pour le moment

    Suivre le flux RSS des commentaires


    Ajouter un commentaire

    Nom / Pseudo :

    E-mail (facultatif) :

    Site Web (facultatif) :

    Commentaire :