• Au Burkina, pas de repos pour le médecin qui reconstruit les femmes mutilées

     

    Au Burkina, pas de repos pour le médecin qui reconstruit les femmes mutilées

     

     

    Chaque année, une cinquantaine de femmes excisées passent par la clinique du docteur Michel Akotionga pour ses compétences en chirurgie reconstructrice.

    AVERTISSEMENT Cet article contient des images qui peuvent choquer. Elles retracent la chronologie d’une opération chirurgicale : la reconstruction du clitoris mutilé d’une femme qui a subi une excision enfant. Notre reporter a veillé à la préservation de la dignité et de l’anonymat de la patiente.

    Officiellement, le docteur Akotionga est à la retraite. Pourtant, la salle d’attente de sa clinique ne désemplit pas. C’est qu’il troque régulièrement son costume de vice-président du Conseil national de lutte contre la pratique de l’excision contre sa blouse de chirurgien. Aujourd’hui, Michel Akotionga rentre tout juste d’une conférence à Vancouver, au Canada, et prépare déjà son discours pour la suivante, à Montpellier, où il est invité comme l’un des plus grands spécialistes de la reconstruction vulvaire. Le plus infatigable à n’en pas douter.

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    Le septuagénaire se lève, svelte et sémillant. Blouse immaculée, calot bleu hôpital sur la tête, « bienvenue dans ma clinique », lance-t-il. Nous sommes au cœur d’une cité nouvelle du centre-ville de Ouagadougou, la capitale burkinabée. Aux murs, les céramiques sont encore neuves. « Je l’ai ouverte en 2012, juste après avoir pris ma retraite du centre hospitalier universitaire où j’exerçais depuis 1989 en tant que gynécologue », explique-t-il. Salle de consultation, bloc opératoire, salle de réveil, quatre chambres et un matériel moderne. « Ici, j’ai tout ce qu’il faut pour réparer les femmes mutilées par l’excision. »

     

    Plus d’anesthésie générale

    Avec l’aide de ses infirmières et de ses aides soignants, il procède à des restaurations clitoridiennes et à des vulvoplasties sur une cinquantaine de patientes chaque année. « Quand j’ai débuté, c’était plutôt une centaine par année, heureusement la pratique est en déclin. » Selon une étude conjointe de l’Unicef et du Fonds des Nations unies pour la population (UNFPA), la prévalence de l’excision au Burkina Faso est passée de 49,5 % en 2006 à 31,4 % en 2015. Un progrès notable auquel le docteur Akotionga a ajouté son coup de bistouri. Tous les mercredis, il opère gratuitement quatre femmes excisées. Une partie du coût des opérations est prise en charge par l’Unicef et l’UNFPA, à hauteur de 7 500 francs CFA (11 euros) par intervention.

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    « Quand je suis rentré de ma spécialisation à Angers, en 1989, j’ai constaté que beaucoup de femmes étaient en consultation pour mutilation, mais que peu accédaient à la vulvoplastie, se souvient-il. Cela était dû au coût lié à une anesthésie générale. Je me suis dit, si on arrive à circoncire les garçons sous anesthésie locale, pourquoi ne pas réparer ces femmes de la même manière. » Après un premier essai satisfaisant, il développe sa méthode et la diffuse dans les universités et les centres de soins du Burkina. Aujourd’hui, il peut compter environ 400 agents de santé formés par ses soins.

    Enfant déjà, « je voulais y remédier »

    Né à Pô, dans le sud du pays, le docteur Akotionga est entré en médecine comme en religion. « Jeune, je voulais être prêtre », lâche-t-il. Mais les cris de ses sœurs et des filles du village décidèrent de sa vocation. « Les excisions se passaient sous le grand jujubier du village. Garçons, on nous chassait, mais comme nous étions curieux, nous nous cachions dans les fourrés pour comprendre l’origine de ces hurlements et ces pleurs. L’exciseur installait les filles par terre, d’autres hommes leur maintenaient les membres. Elles se débattaient. Les regarder me faisait peur. On savait qu’il coupait les filles. Je voulais y remédier. »

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    Pris en affection par un couple de colons français, il est le seul membre de sa famille à suivre une scolarité. Etudiant brillant, il se rend en France, à l’université de médecine d’Angers, pour se spécialiser en gynécologie. « J’aurais pu m’y installer mais une visite à Paris m’en a découragé, confie-t-il. Je marchais dans les rues et tout le monde courait. Alors, sans savoir pourquoi, je me suis mis à courir aussi, sans raison ni direction. Cette ville rend fou ! En France, c’est trop bousculé. Nous, on aime vivre et causer. Vous, vous n’avez pas le temps. » Il retourne donc au Burkina Faso, et réussit à mettre à profit son expérience en anatomie de l’appareil génital féminin : vulvoplastie, traitement des kystes et restauration clitoridienne.

    Une expertise qu’il aurait aimé ne pas avoir à développer : « L’excision est une coutume atroce dont il faut se débarrasser. » Bien qu’interdite par la loi, la pratique traditionnelle est encore en vigueur dans de nombreuses provinces.

    « L’argument traditionaliste ne tient pas. Nous nous sommes déjà défaits d’autres traditions moins dangereuses. Avant, pour se distinguer, les 60 ethnies du Burkina Faso se scarifiaient le visage. Plus personne ne le fait aujourd’hui. Les gens se limaient les dents en pointe pour ressembler aux félins. Une tradition abandonnée elle aussi. Pourquoi garder l’excision ? Une coutume qui rend malade ou tue n’est pas une bonne coutume. »

    Aujourd’hui, dans son cabinet, le docteur Akotionga reçoit Aissata*, 30 ans. Elle est venue pour qu’il lui rende le droit au plaisir qu’on lui avait confisqué enfant. Il lui faudra quarante-cinq minutes pour reconstruire son clitoris.



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