• Au fin fond des Etats-Unis, le rêve américain s’est brisé

    Au fin fond des Etats-Unis, le rêve américain s’est brisé

    #EuropeGoesUs  Douze reporters européens sillonnent le pays depuis deux mois. Partis à la rencontre d’une Amérique qu’on ne voit pas à la TV, ils nous livrent ici les témoignages d’un pays qui a perdu confiance.

    Local de vote à Washington D.C.

    Local de vote à Washington D.C. Image: EPA

    Huit ans après l’élection de Barack Obama, le rêve a tourné au cauchemar pour bon nombre d’Américains. «Désillusion, désenchantement, peur du lendemain», tels sont les termes que nos reporters de grands médias européens partenaires de l’Association des journaux leaders européens (LENA) utilisent pour qualifier le sentiment dominant dans le pays.

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    Ils ont parcouru plus de 20 000 kilomètres d’est en ouest et du nord au sud. Ils ont mené un nombre incalculable d’interviews pour comprendre la réalité de cette autre Amérique, celle qu’on ne voit pas sur les écrans de télévision. Les dizaines de témoignages vidéo rassemblés en une sorte de galerie des portraits de l’Amérique d’aujourd’hui sont éloquents: des citoyens qui se sentent floués, impuissants. Ils ont perdu le contrôle de leur vie, de plus en plus difficile. Et voilà qu’on leur propose un non-choix, Trump ou Clinton, le «diable» ou le «démon», les deux candidats les plus mal aimés de l’histoire américaine.

    Que disent les Américains? Voir les témoignages vidéos

    Le rêve américain s’est brisé. La fortune à la portée de chacun quelles que soient ses origines, son éducation, sa couleur, son ascendance mobilise les Américains depuis des générations. Et certains ont réalisé leur rêve. Scénarisé pour la première fois par l’écrivain et historien James Adams en 1931, l'‹american dream› fut consubstantiel de l’épopée américaine dès ses origines. Il promet le progrès en continu, qu’il soit social, technologique, moral ou tout simplement évalué en dollars. Chaque génération doit pouvoir mieux vivre que la précédente. Un rêve chahuté à travers les décennies mais qui semble atteindre son apogée en 2008 avec la stupéfiante élection du premier président noir des Etats-Unis. Tout était donc possible.

    Y compris le pire. La configuration de cette campagne est unique, à la mesure de son ton. Vicieuse, agressive, destructrice, sans précédent. L’issue en est aussi terriblement incertaine, comme le montre le dernier rebondissement dans l’affaire des e-mails, qui fait reculer Hillary Clinton.

     

    Le plus grave pourtant dans cette bataille indigne est qu’elle reflète la perte de confiance des Américains dans leurs institutions et leur démocratie. Un dépit tel que près de la moitié des citoyens se rabattent sur Donald Trump, le nettoyeur, celui qui va tout changer, tout casser.

    L’idée de démocratie, dans ce pays qui s’en veut exemplaire, a perdu la cote comme le montre le «World Value Survey», un sondage répétitif de référence. A la veille de la Seconde Guerre mondiale, la démocratie était considérée comme la valeur phare par 72% des personnes interrogées. Dans le boom de l’après-guerre, le taux tombe à 50%, alors que seuls 30% de la population née dans les années 80 estiment encore que cette valeur est essentielle.

    Mais pas de conclusion hâtive. La démocratie américaine est malmenée mais pas en péril pour autant. Ce serait mal connaître les ressorts d’un pays qui aime flirter avec les extrêmes mais montre une capacité de changer et de rebondir hors du commun.


    Le rêve américain existe-t-il encore?

    Renoncer à devenir riche

    Le rêve américain s’affaiblit. La famille Burns, au Nebraska, en est un bon exemple. Les Burns vivent dans une petite maison à Mason City. Toutes les dix minutes déboule un train chargé de charbon. Sinon, rien ne se passe dans le village de 200 âmes. Jeans Burns travaille dans l’agriculture. Chaque dimanche, lui et sa femme vont à l’église. Son père et grand-père ont fait pareil. Mais les temps ont changé. Alors que leurs ancêtres pouvaient offrir à leurs familles une bonne vie grâce à l’agriculture, les Burns vivent maintenant modestement. Le prix du maïs a chuté en raison des importations. D’autres peuvent produire à bon marché, grâce à la main-d’œuvre étrangère. Les Burns travaillent dur. Mais ils ont renoncé à devenir riches. Dans les villes aussi, on voit le rêve américain disparaître. Chris est un sans-abri, dans les rues de Denver. Il avait des dettes et a perdu sa maison. Puis il a quitté sa femme. Aujourd’hui, il mendie avec un panneau en carton sur l’asphalte froid. Les restes d’un restaurant italien font son dîner.

    Les Burns et Chris savent qui est à blâmer: le gouvernement. Washington interviendrait trop dans le monde et devrait se concentrer sur sa propre terre. Ils veulent que tout soit comme avant. Ils choisiront donc Donald Trump. Lui ramènera le rêve américain. Fiona Endres

    Allier deux extrêmes

    «Un candidat qui permette à chacun de vivre le rêve américain.» C’est tout ce qu’Adel Mozip demande. En vain. Ce politicien n’existant pas, cet Américain d’adoption, Yéménite de naissance, était bien emprunté lorsque je lui ai demandé pour qui il allait voter. C’était à Dearborn, la ville natale de Henry Ford, en banlieue de Detroit. Pour cet ingénieur informaticien, comme pour beaucoup de ceux que j’ai croisés dans les cinq Etats que j’ai traversés, l’offre politique actuelle n’est pas à la hauteur des attentes des Américains.

    La question touche au système bipartisan: un Parti républicain qui s’est laissé glisser vers l’extrême d’un Tea Party et un Parti démocrate qui a choisi d’ignorer sa base populaire.

    Parmi ceux que j’ai rencontrés, beaucoup ont cité le fait que Trump est un outsider, qu’il n’obéit pas aux règles de Washington, comme un argument suffisant pour voter pour lui. La conversation menait vite à citer l’autre révélation de cette campagne: Bernie Sanders. Les prochains présidents devront notamment savoir concilier ces deux extrêmes pour faire perdurer le rêve américain. David Haeberli

    «On vous fait bien rire, non?»

    «Vous devez bien rire de nous, non?»: telle a été la rengaine de mes trois semaines de voyage en Californie, libérale et démocrate, et dans le Nevada, surnommé «l’anti-Californie»… Démocrates, républicains, indécis, non-inscrits… au fil de mes 3000 km parcourus et de la trentaine d’interviews réalisées, j’ai rencontré des électeurs désabusés par l’élection: «Avec tous les gens intelligents qu’on a dans ce pays, vous vous rendez compte du choix qui nous est donné?» m’ont dit plusieurs personnes à Las Vegas, en marge du dernier débat entre Hillary Clinton et Donald Trump.

    Dans leurs propos, j’ai ressenti de l’amertume de vivre dans un pays qui fait moins rêver, comme tombé d’un piédestal, plus sévèrement qu’après la présidence de George W. Bush. La crise a fait des dégâts et revenait comme un leitmotiv dans les conversations, de même que la défiance vis-à-vis de Washington et des élites. Si les électeurs de Trump voient en lui une incarnation du rêve américain et l’assurance qu’il revivra avec leur champion, les partisans de Clinton n’avaient pas le même enthousiasme. Beaucoup résumaient leur vote à choisir «le moins pire des deux».

    Mais là où j’ai le plus ressenti la force du rêve américain, c’est en dehors du champ politique traditionnel: parmi des partisans de l’indépendance de la Californie ou auprès d’un jardinier qui veut révolutionner les quartiers défavorisés en leur apprenant à cultiver leurs propres produits.

    Et bien sûr, à la frontière avec le Mexique, où quel que soit le prochain président, l’eldorado américain fera toujours rêver. Julie Connan

    L’angoisse a pris place

    Le rêve américain se transforme en cauchemar: celui d’une nation qui ne reconnaît que la moitié d’elle-même. Où est passée cette ferme résolution à regarder au loin, qui avait toujours porté l’Amérique à transformer à son avantage les situations les plus conrraires? C’est un pays profondément divisé que j’ai parcouru durant mon voyage entre la Pennsylvanie et l’Etat de New York. Un pays où le racisme a trouvé une nouvelle légitimité grâce aux affirmations politiquement incorrectes de Donald Trump. Un pays où les classes sociales sont plus distantes que jamais, avec ce paradoxe: le cœur ouvrier de l’Amérique bat désormais pour Trump alors que les riches et les instruits misent sur Clinton.

    L’angoisse de l’incertitude a pris la place du rêve américain. L’angoisse née du fait que le travail garanti a disparu, comme me l’a raconté un des héros du 11 Septembre. L’angoisse liée au fait que le mariage ne procure plus aucune certitude, selon une femme de militaire républicain, vue aux chutes du Niagara. Celle de ne pas trouver de maison, comme le disait, à Harrisburg, un jeune barista qui, encore plein du rêve de la «révolution Sanders», attribuait aux «vieux» la création de «deux créatures diaboliques que sont Hillary et Trump». Ou encore la crainte d’étudiantes latinas, rencontrées à l’Université de Syracuse, de ne pas être acceptées socialement. Le rêve américain a toujours été le fruit et le signe d’une grande malléabilité. L’Amérique qui, au contraire, n’arrive plus à accepter sa face sombre, semble toujours plus destinée à générer des monstres. Anna Lombardi

    Un présent qui change

    Je crois que ce que l’on appelle le «rêve américain» existe encore mais, après mon voyage, ma conclusion est qu’il est bien moins optimiste. J’ai perçu de l’inquiétude chez la plupart des personnes que j’ai rencontrées dans les six Etats que j’ai traversés. Inquiétude pour l’avenir, inquiétude pour un présent qui change, moteur d’un soutien massif pour Donald Trump.

    Mon voyage m’a amené dans le sud des Etats-Unis, un fief conservateur. J’en retiens deux choses. La première est l’animosité envers le gouvernement fédéral, vu comme une autorité invasive, privative de droits. La seconde est le choc entre passé et présent à propos de sujets de société, comme la légalisation du mariage gay ou les relations entre personnes de couleur différente. Ces tensions font partie de la réalité de la vie dans le sud depuis des décennies, mais elles se sont intensifiées durant les années de présidence de Barack Obama.

    Deux étapes m’ont marqué. L’une est l’étendue de la pauvreté chez les Noirs de Selma, en Alabama, un lieu historique dans la lutte des Afro-Américains pour le droit de vote dans les années 60. Malgré les progrès réalisés ces dernières décennies, les difficultés économiques touchent toujours les Noirs de manière disproportionnée.

    L’autre est Elaine, dans l’Arkansas, une petite ville le long du fleuve Mississippi, complètement abandonnée suite à la mécanisation de l’agriculture. Là, la rhétorique de Donald Trump contre le libre-échange, ses promesses de restaurer la grandeur américaine, a un énorme écho. Joan Faus

    Le rêve américain est une blonde

    J’ai rencontré le rêve américain. Il vit en Floride. C’est une femme, blonde, la vingtaine et elle vient d’Allemagne. Comprenez-moi bien: il ne s’agit pas d’une rencontre amoureuse, je vous le promets. Cette histoire ne parle pas non plus de moi. Mais bien du rêve américain.

    «Contente de vous revoir», m’a dit une serveuse dans un bar de Boca Raton, alors que je prenais place avec une personne que j’allais interviewer. «Me revoir?» Je n’avais jamais mis les pieds dans cette ville. Une méprise sur la personne. «Ah, pardon!» dit-elle, sceptique. «Etes-vous prêts à commander?» Elle nous sert, nous mangeons et je lui tends ma carte de crédit pour payer. Elle revient et m’interpelle en allemand, cette fois: «Ma parole, Ansgar, c’est bien toi! Je savais que je t’avais déjà rencontré!» Honte à moi: elle avait habité à Washington DC il y a plusieurs années au pair chez des connaissances et avait fait du baby-sitting pour ma fille.

    «Je suis retournée en Niedersachsen, mais tout me semblait si petit et étriqué en Allemagne, m’a-t-elle raconté. Ici, aux Etats-Unis, non seulement ils ont plus de soleil mais aussi plus de liberté, de flexibilité, d’opportunités.»

    Elle étudie en Floride, travaille comme serveuse à temps partiel et a demandé sa green card. «L’Amérique, dit-elle, était mon rêve quand j’étais adolescente. Aujourd’hui, je vis mon rêve.» Lorsqu’elle me parlait, ses yeux étaient pleins de vie. Ansgar Graw (Die Welt)

    (TDG)

    (Créé: 01.11.2016, 10h01)

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