• Bénin : pourquoi Lionel Zinsou a perdu

    Analyse

    Bénin : pourquoi Lionel Zinsou a perdu

    Affiches de campagne de Patrice Talon et de Lionel Zinsou pour l'élection présidentielle béninoise de 2016.

    Ses derniers jours de campagne commençaient à bégayer, comme le signe d’une défaite prévisible. Lionel Zinsou a reconnu la victoire de l’homme d’affaires Patrice Talon à l’issue de second tour de la présidentielle béninoise, dimanche 20 mars, avant même l’annonce officielle des premières tendances par la Commission électorale nationale autonome (CENA). Sans attendre les estimations, lundi, du président de la Commission électorale, selon lequel le rival du premier ministre aurait rafflé 65,4 % des suffrages, Lionel Zinsou avait appelé, dans la nuit, celui qui se prépare à succéder au président Thomas Boni Yayi, pour le féliciter et lui « souhaiter bonne chance ».

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    Le premier ministre n’a pas perdu parce que son projet « Bénin gagnant » n’était pas convaincant. Son programme semblait au contraire plus ambitieux et volontariste que celui de ses concurrents. Son échec s’explique sans doute par deux facteurs : le temps et le président sortant.

    Lionel Zinsou, qui se décrivait parfois comme un « Béninois virtuel », est arrivé tard dans la course. Nommé à la surprise générale premier ministre en juin 2015, le Franco-Béninois, ancien patron du fonds d’investissement PAI Partners, n’a pas eu le temps de faire ses preuves et pas non plus celui de se faire connaître.

    Machine électorale réputée imbattable

    S’imaginant sans doute que son profil d’agrégé d’économie et d’enfant chéri du capitalisme français lui ouvrirait aisément les portes du palais présidentiel à Cotonou, cet homme discret de 61 ans a peut-être péché par orgueil. Or il a dû faire face aux critiques tenaces de l’opinion qui ne voyait en lui qu’un prolongement de la très décriée Franç afrique. Lionel Zinsou n’est donc pas resté suffisamment longtemps à son poste pour se défaire de l’image du candidat de la France. Sa campagne a été empoisonnée par des critiques sur sa supposée méconnaissance des réalités du Bénin, ainsi que sur la couleur de sa peau. Ce métis a été mille fois traité de « Blanc », insulte qui n’a cessé de gangrener la presse ou les réseaux sociaux.

    Pour accéder à la magistrature suprême, le premier ministre s’est appuyé sur la mouvance au pouvoir, les Forces Cauris pour un Bénin émergent (FCBE), et deux grandes formations politiques plus ou moins alliées à Boni Yayi. Théoriquement, cette alliance représentait une machine électorale imbattable. Mais ces calculs étaient erronés.

    Lionel Zinsou n’a pas réalisé à quel point le contexte dans lequel il a débarqué était marqué par une contestation, voire une détestation, du président Boni Yayi après deux mandats de cinq ans passés à la tête du pays. Malgré quelques avancées comme la mise en place d’un régime d’assurance maladie (RAMU) en décembre 2011, la corruption a atteint des sommets et le sentiment des Béninois est bel et bien d’avoir reculé sous Boni Yayi. Le Front des organisations nationales de lutte contre la corruption (FONAC) n’a eu de cesse de dénoncer la pratique qui consiste pour les responsables politiques à recevoir entre 15 % à 20 % de commission dans l’attribution d’un marché public. Les scandales financiers se sont multipliés. A l’instar de ce détournement de 4 millions d’euros, en mai 2015, sur une enveloppe de 66 millions d’euros d’aide publique néerlandaise au développement. Sous la présidence de Thomas Boni Yayi, le chômage et la pauvreté se sont accrus. En 2006, le pays se situait au 161e rang sur 187 à l’indice de développement humain des Nations unies. En 2014, il avait perdu quatre places.

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    Plutôt que se démarquer de ce bilan, rejeté par tous et dont il n’était comptable que de quelques mois, le premier ministre l’a pleinement assumé pendant sa campagne présidentielle. Il a sans cesse rendu hommage à « l’action du président ». Il a si bien assumé l’héritage de Boni Yayi qu’il n’a pas hésité dans l’entre-deux-tours à s’afficher aux côtés de deux personnages perçus comme des symboles du système de prévarication ayant cours dans le pays, le député Barthélémy Kassa et le ministre Komi Koutché.

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    Paradoxalement, alors qu’il n’a pas pris de distance avec ces figures controversées, Lionel Zinsou a voulu rester « propre », c’est-à-dire ne pas participer à un système, au Bénin, qui veut que les ralliements et les voix se conquièrent à coups de cadeaux et d’espèces sonnantes et trébuchantes. Ses principaux adversaires sont soupçonnés d’avoir procédé de la sorte et avaient sans doute pour cela des moyens bien supérieurs aux siens. Lui a toujours estimé que sa réputation d’homme intègre et d’intellectuel de haut vol suffirait à convaincre les jeunes des quartiers populaires frappés par la précarité de lui accorder leur suffrage.

    Trop courtois, trop fidèle

    Autre erreur, et non des moindres. Lors du face-à-face télévisé d’avant le second tour, jeudi 17 mars, il est demeuré courtois face à un Patrice Talon pugnace et provocateur, sans jamais le renvoyer à sa part de responsabilité dans la situation du Bénin. Patrice Talon a fait fortune dans la filière du coton grâce à sa proximité avec les cercles politiques, depuis le vent de libéralisation amorcé en 1991 par l’ancien président Nicéphore Soglo. L’homme d’affaires a si bien côtoyé les politiques qu’il en a financé la plupart des campagnes électorales, y compris les deux victorieuses de Boni Yayi, son ancien allié et aujourd’hui ennemi juré, en 2006 et en 2011. Ce débat télévisé, pour Lionel Zinsou, était d’ailleurs l’ultime occasion de se distinguer de Boni Yayi. Il s’est au contraire monté d’une loyauté sans faille.

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    « Cette présidentielle était un référendum contre Boni Yayi et non une réelle adhésion à Patrice Talon. Les Béninois n’ont pas voulu de ce qui apparaissait comme un troisième mandat déguisé de M. Boni Yayi », affirme Shegun Bakary, conseiller économique d’Abdoulaye Bio Tchané, le quatrième homme du scrutin, ancien directeur Afrique du Fonds monétaire international (FMI) qui s’est rallié à Patrice Talon dès le lendemain du premier tour.

    Abdoulaye Bio Tchané, d’ailleurs, a été traité de « sauvage » et de « malpoli » par Thomas Boni Yayi avant le premier tour parce que l’ex-directeur Afrique du FMI avait organisé un meeting le même jour dans la même ville de Djougou que le président. « Dieu va nous sauver », a martelé le président lors d’un meeting la veille du second tour dans son fief de Parakou (nord), sans réaliser que de battre campagne pour Lionel Zinsou allait lui faire perdre des voix.

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