Quarante-trois ans après son intégration, les heures du Royaume-Uni au sein de l’Union européenne sont-elles comptées? Ce jeudi, des millions de Britanniques se sont prononcés sur la sortie du Royaume-Uni de l'Union européenne, lors du très attendu référendum sur le Brexit. Le point sur les conséquences d’un possible départ des Britanniques.
> Une déstabilisation politique du Royaume-Uni
Une fois le décompte des votes terminé, les effets sur la vie politique britannique sont quasi-immédiats. Le cadre juridique prévu par l’article 50 du Traité de Lisbonne précise que la procédure de retrait doit être activée par le Premier ministre, qui doit notifier le Conseil européen par écrit. Mais pas sûr que l’actuel locataire du 10 Downing Street ne s’attelle à la tâche, puisque sa légitimité viendra d’être sévèrement remise en cause dans les urnes. David Cameron, qui avait lui-même annoncé la tenue du référendum en février dernier, se donnant quatre mois pour convaincre les Britanniques de rester dans l’UE, s’est largement impliqué dans la campagne du maintien.
Fragilisé par une victoire du camp du "Leave", il serait sûrement contraint de démissionner, faute de légitimité démocratique, et ce peut-être dès le 24 juin au matin. L’ancien maire de Londres Boris Johnson, meneur du camp du Brexit, ne cache plus ses ambitions pour lui succéder.
Jack Taylor - AFP - Boris Johnson (à gauche) pour succéder à David Cameron à Downing Street en cas de victoire du Brexit."Il va y avoir une période d’incertitude politique, voire de vide politique. David Cameron aura-t-il la légitimité pour négocier les modalités du retrait du Royaume-Uni avec l’UE? Rien n’est moins sûr", souligne Olivier de France, directeur de recherche à l’Institut de relations internationales et stratégiques (IRIS), contacté par BFMTV.com.
> Une longue période de négociations
Si les Britanniques se prononçaient en majorité pour le "Leave", la sortie du Royaume-Uni de l’UE ne serait pas immédiate, loin de là. A partir du moment où le Premier ministre notifierait la demande de retrait auprès au Conseil européen débuterait une longue période de négociations pour déterminer les modalités de la séparation, puis de la nouvelle relation entre Londres et Bruxelles.
Ainsi, l’article 50 du traité de 2009 prévoit une période de deux ans, au cours desquels un accord de séparation est négocié entre les deux parties. Autrement dit, si le Brexit l’emportait, le Royaume-Uni ferait encore partie de l’UE au moins jusqu’en 2018, et les traités européens continueraient de s'appliquer, jusqu’à l’entrée en vigueur de l’accord de retrait. En revanche, le Royaume-Uni ne participerait plus aux délibérations et décisions du Conseil européen. Une fois l’accord de retrait établi, il devra être voté par le Parlement européen, puis approuvé par une majorité qualifiée des Etats membres.
La situation ne s’étant encore jamais produite, Londres comme Bruxelles plongeront quoi qu’il en soit dans l’inconnu le plus total. "Il y a des choses écrites dans le traité, mais dans la mesure où on ne les a jamais mises en œuvre, il est difficile de savoir comment cela marche exactement", fait valoir Olivier de France. Et le processus peut s’avérer laborieux, puisque toute la relation entre le Royaume-Uni et le continent est à réécrire. "Cela peut prendre des années, voire des décennies. Il y a absolument tout à reconstruire. La période de deux ans me semble relativement optimiste, car il y a le retrait, puis la relation commerciale et juridique à déterminer", développe le spécialiste.
Pour la suite de sa collaboration avec l’UE, plusieurs options s’offrent au Royaume-Uni. Il pourrait choisir d’intégrer l’Espace économique européen (EEE), et accéder ainsi au marché intérieur, à l’image de la Norvège. Ou bien accumuler les accords, comme la Suisse. Ou encore conclure une union douanière, comme l’a fait la Turquie.
Frederick Florin - AFP - En cas de Brexit, la relation entre Londres et Bruxelles sera complètement à réécrire.> Le risque d’un éclatement du pays
Une fois détaché de l’Union européenne, le Royaume-Uni pourrait voir ses frontières intérieures menacées. Déjà évoquée lors d’un référendum, en 2014, la question d’une indépendance de l’Ecosse pourrait notamment revenir sur le devant de la scène. S’ils s’étaient prononcés à 55% contre, les Ecossais, en très grande majorité favorables à l’UE, pourraient choisir d’organiser un nouveau référendum, afin de sortir du Royaume-Uni pour pouvoir ensuite enclencher une demande d’adhésion à l’Union européenne. Le parti indépendantiste écossais a déjà annoncé réfléchir à la question, en cas de victoire du "Out".
"Savoir si l’UE accepterait l’Ecosse comme telle est un autre problème. Il y a des conditions qu’il n’est pas certain que le pays remplisse, du point de vue de sa dette ou de son indépendance énergétique", tempère Olivier de France.
Outre les frontières du Nord, celles de l’Ouest pourraient aussi être remises en cause par le Brexit. En cas de victoire du "Leave", l’union entre l’Irlande et l’Irlande du Nord, scellée en 1998 par l’accord du Vendredi Saint, après des années de conflit, pourrait être menacée. Et la frontière entre les deux entités, aujourd’hui presque invisible, pourrait se reformer. En conséquence, l’Irlande, qui fait partie à part entière de la zone de libre-échange de l’UE, pourrait à nouveau se retrouver isolée.
Carl Court - AFP - En cas de Brexit, l'Ecosse pourrait organiser un nouveau référendum sur son indépendance.> L’économie britannique menacée
Si elles restent, pour l’heure, difficiles à évaluer, les répercussions économiques d’une sortie du Royaume-Uni de l’Union européenne sont indéniables. Plusieurs études prédisent même un scénario noir. Londres serait de facto dispensée de payer sa contribution au budget de l’UE (16,7 milliards d’euros en 2015), mais cette économie ne représenterait que 0,5% du PIB britannique. Ce PIB pourrait être directement affecté, en chutant de 3 à 9% selon les estimations, puisque les exportations réalisées vers le marché unique (qui représentent la moitié des exportations réalisées par le Royaume-Uni, dont l’UE est le principal partenaire économique) seraient désormais taxées. Les importations devraient également devenir plus coûteuses.
Enfin, un effondrement de la livre sterling serait à craindre, ce qui ferait monter les prix pour les consommateurs britanniques. La cinquième puissance mondiale se verrait également privée de nombreuses subventions européennes, dans l’agriculture ou la recherche.
Leon Neal - AFP - La bourse de Londres."Il est difficile de trouver des études économiques prédisant des bénéfices à une sortie du Royaume-Uni de l’UE. A l’inverse, il y a un certain nombre d’éléments et d’études crédibles qui permettent d’affirmer l’inverse, prévoyant entre autres une récession économique", rappelle ainsi Olivier de France.
> Un possible délitement de l’UE
Si le "Leave" l’emportait jeudi, Bruxelles se retrouverait confrontée à un double défi: accuser le choc du départ de l’un de ses piliers, et contenir l’hémorragie. La réussite du Brexit pourrait en effet susciter des velléités de départ chez les autres Etats membres.
"Le Brexit risque de contribuer à ce que chacun veuille défendre ses propres intérêts, et d’ouvrir la porte à l’’Europe à la carte’", explique Olivier de France, rappelant que la Hongrie, la Slovénie, la Pologne et plusieurs pays nordiques ont des positions proches des positions britanniques. "Qu’est-ce qui les empêche de revendiquer à leur tour d’avoir leurs propres exceptions, leur propre statut spécial? De facto, cela détricote l’Union européenne", estime le spécialiste.