Les dernières élections, aussi bien nationales que départementales et régionales, ont montré combien les fractures territoriales étaient devenues un enjeu majeur. Un document publié jeudi 7 juillet par France Stratégie, l’organisme de réflexion et d’expertise rattaché au premier ministre, montre que les inégalités territoriales se sont creusées entre 2000 et 2013. Les métropoles, Paris en particulier, concentrent l’activité à haute valeur ajoutée et les populations qualifiées. Le Nord-Est et le Centre ont notamment décroché par rapport au reste du pays. Les villes moyennes et les territoires peu denses se fragilisent.
A la lecture de ce document, on comprend mieux pourquoi les débats autour des récentes réformes dites de décentralisation ont cristallisé les inquiétudes des élus, notamment ruraux, et de leurs électeurs face au risque de relégation de certains territoires et face à la concentration des pouvoirs et des moyens dans les métropoles.
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Ces mêmes inquiétudes s’étaient exprimées lors de la discussion de la loi pour la croissance et l’activité du ministre de l’économie, Emmanuel Macron. Comment accompagner un phénomène inéluctable, qui n’est pas propre à la France, de « métropolisation » tout en endiguant le déclin des territoires ? Comment éviter que les fossés interrégionaux ne se creusent à l’heure de la création de grandes régions ?
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L’état des lieux
Les grandes aires urbaines, de plus de 500 000 habitants, concentrent une part importante de l’activité : si elles rassemblent environ 40 % de la population française, elles drainent 55 % de la masse salariale totale. Le produit intérieur brut (PIB) par habitant y est en moyenne 50 % plus élevé que dans le reste du pays. A l’inverse, alors que 12 % de la population habitent dans des communes de moins de 20 000 habitants, ces dernières ne représentent qu’un peu plus de 6 % des salaires versés.
Parmi les grandes aires urbaines, certaines ont connu, entre 2007 et 2012, une augmentation rapide de l’emploi – Rennes, Nantes, Bordeaux, Toulouse, Lyon – tandis que d’autres voyaient l’emploi baisser – Douai-Lens, Rouen, Strasbourg, Nice, Toulon.
Les régions du nord-est et du centre de la France décrochent par rapport au reste du pays en raison, notamment, de la désindustrialisation rapide du Nord et de l’Est, où le poids de l’industrie était important, sans qu’elles se soient massivement réorientées vers des services à haute valeur ajoutée. Le PIB par habitant du Sud-Ouest était supérieur de 3,5 % à celui du Nord-Est en 2000 ; il était plus élevé de 9,5 % en 2013.
Toutefois, ces inégalités sont, partiellement, corrigées à la fois par les effets du système de protection sociale et des emplois publics. « Par le jeu des transferts sociaux et de l’emploi public, la dépense publique joue donc un rôle de péréquation entre les territoires », observe l’étude de France Stratégie.
Mais l’organisme s’interroge, en revanche, sur les finalités et l’efficience des politiques territoriales. « Depuis trente ans, les dispositifs d’aide aux territoires se sont multipliés et certains d’entre eux se chevauchent, voire même apparaissent contradictoires », notent les auteurs.
Ainsi, si d’importants moyens ont été mis à disposition des réseaux d’éducation prioritaire, les classes ne contiennent en moyenne que deux élèves de moins que la moyenne, « ce qui est insuffisant pour compenser les écarts de résultats scolaires ». « Dans certaines régions défavorisées comme le Nord - Pas-de-Calais, la dépense par tête dans l’enseignement primaire est même inférieure à la moyenne », constate l’étude. Et, en matière de formation professionnelle, elle est significativement inférieure dans les régions où le taux de chômage est le plus élevé.
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Les enjeux
Selon toutes les études prospectives, le phénomène de « métropolisation » devrait se poursuivre. Avec les risques de décrochage qui l’accompagnent pour les zones rurales, des risques accrus du fait du vieillissement de la population dans ces zones.
Les grandes zones urbaines disposent d’un fort potentiel de croissance. Les lois Maptam et NOTRe adoptées durant ce quinquennat ont anticipé ce mouvement en accordant des responsabilités et des compétences accrues aux régions et aux métropoles. A elles d’y répondre en jouant un rôle nouveau d’impulsion et de coordination sur leurs territoires.
Cependant, l’étude de France Stratégie pose une question majeure. « La politique traditionnelle d’aménagement du territoire a longtemps visé à redynamiser par l’investissement les territoires en déclin, constate-t-elle. Or les évolutions économiques récentes amènent à repenser cette orientation. »
Pour le commissaire général de France Stratégie, Jean Pisani-Ferry, joint par Le Monde, « il faut miser sur la dynamique de métropolisation, on n’a pas le choix, même si elle est douloureuse pour les territoires ». Ce qui suppose d’investir davantage dans les grandes métropoles et à leur pourtour.
Il faudra alors avoir une politique volontariste de correction des inégalités et d’accessibilité aux services partout dans le territoire. « Doit-on fixer un panier de services minimaux garanti par l’Etat sur tout le territoire ?, interroge l’étude. Au-delà de ce panier, peut-on imaginer une forme de subsidiarité permettant à certains territoires d’accroître l’offre de service à condition qu’ils en assument la responsabilité fiscale ? » Ce qui pose la question de l’autonomie fiscale des exécutifs locaux, mais aussi de la péréquation des ressources pour éviter le creusement des inégalités territoriales.
Plus d’autonomie, donc, plus de marges de manœuvre pour les régions, mais aussi plus de corrections des inégalités. Pour M. Pisani-Ferry, « il faut substituer à une logique d’uniformité de l’offre une logique de différenciation ».
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