• Comment l’Europe veut réduire le dumping social des travailleurs détachés

    Comment l’Europe veut réduire le dumping social des travailleurs détachés

    Thierry Fabre

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    Publié le 20-07-2016 à 17h50         LIEN

    La commissaire à l’emploi et aux affaires sociales maintient sa réforme de la directive sur les travailleurs détachés, malgré l’opposition des pays d’Europe de l’Est. Cette réforme est loin de régler le dumping social provoqué par l’explosion du nombre de salariés détachés.

    La proportion de travailleurs détachés a atteint 30% pour la construction du Harmony of the Seas à Saint-Nazaire. GEORGES GOBET / AFP 
    La proportion de travailleurs détachés a atteint 30% pour la construction du Harmony of the Seas à Saint-Nazaire. GEORGES GOBET / AFP
     

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    Marianne Thyssen est repartie à l’offensive. Mercredi 20 juillet, la commissaire européenne à l’emploi et aux affaires sociales a officiellement confirmé le maintien de sa réforme de la directive sur les travailleurs détachés. Son texte vise à lutter contre le « dumping social » en exigeant que les travailleurs détachés, venant souvent de pays européens à bas coût, soient rémunérés en intégrant les avantages sociaux de la législation des pays d’accueil: le salaire minimum, déjà dans la directive actuelle, mais aussi le 13 ème mois et tous les bonus et primes diverses liées aux conventions collectives et accords de branche. « Nous proposons d’appliquer les mêmes règles de rémunération pour le même travail dans le même lieu. Ni plus, ni moins. Les travailleurs détachés ne sont pas des travailleurs de seconde classe », a martelé Marianne Thyssen. Je suis convaincue que la mobilité des travailleurs est bonne pour l’Europe. Mais nous devons nous assurer que les règles sont justes pour tout le monde ».

    Toutefois, la commissaire belge est loin d’avoir gagné la partie. Son projet de révision de la directive « Bolkestein », datant de 1996, a été pilonné par 11 Etats membres, pour la plupart d’Europe de l’Est (Roumanie, République Tchèque, Slovaquie, Pologne, Lituanie, Lettonie, Estonie, Croatie, Bulgarie, Hongrie, Danemark), qui ont utilisé la procédure du « carton jaune », permettant de contester à la Commission le droit de statuer sur ce sujet. Ces pays ne veulent pas perdre « l’avantage compétitif » de leurs travailleurs low cost -en particulier la Pologne, premier pourvoyeur, avec 266.000 salariés détachés- en appliquant les avantages sociaux des pays d’accueil. Pour être adoptée, la réforme de Marianne Thyssen doit recueillir la majorité qualifiée au sein du Conseil Européen, soit 55% des Etats membres et 65% de la population. Et une minorité de blocage peut être exercée par un minimum de quatre Etats représentant au moins 35% de la population de l’Union. Bref, ce n’est pas gagné.

    Concurrence déloyale des salariés low cost

    Cette offensive a été lancée sous la pression de la France et de l’Allemagne, les deux premiers pays d’accueil de travailleurs détachés, qui dénoncent la « concurrence déloyale » de ces salariés low cost. Souvent, les règles de temps de travail et de sécurité ne sont pas respectées par leurs employeurs. Et pendant la durée du  détachement, les cotisations sociales restent celles en vigueur dans le pays d’origine, donc plus faibles.  Début juillet, Manuel Valls avait même menacé de ne plus appliquer un « dispositif européen qui fait des ravages majeurs, terribles. Le dumping social est insupportable », avait lancé le Premier ministre.

    En France, le sujet est, en effet, devenu très polémique. D’abord à cause du mouvement massif de travailleurs détachés. En dix ans, leur nombre a décuplé, atteignant 286.000 en 2015, une année qui a connu une explosion de 25%! La proportion de travailleurs détachés a même atteint 59% pour le chantier du port méthanier de Dunkerque dont EDF est le maître d’œuvre et 30% pour la construction du Harmony of the Seas, le paquebot géant que vient de terminer STX France à Saint-Nazaire. Du coup, les dirigeants politiques se sont saisis du sujet, surtout aux deux extrêmes de l’échiquier: le Front National, très anti-européen, en a fait un axe de campagne et Jean-Luc Mélenchon, candidat du Parti de Gauche à la présidentielle, a déploré « le travailleur détaché qui vole son pain (sic) aux travailleurs qui se trouvent sur place ».

    La polémique va durer. Car même si la réforme de Marianne Thyssen aboutit, elle sera loin de régler le dumping social des travailleurs détachés. D’abord, la Commission Européenne ne modifie pas le calcul des cotisations sociales: un salarié polonais détaché en France va continuer de payer ses cotisations en Pologne, au tarif polonais. Certes, dans l’Hexagone, les multiples allègements de charges au niveau du Smic ont supprimé l’écart de coût du travail avec les pays low cost. Selon la rapporteure du budget, Valérie Rabault, un travailleur français au Smic ne coûte pas plus cher qu’un polonais ou qu’un portugais. Mais pour les salaires supérieurs, dans des métiers en tension très recherchés, l’écart reste important.

    Surtout, le dumping social est lié aux nombreuses fraudes d’employeurs, qui ne respectent pas notre droit du travail. Même si la législation a été durcie (amende de 500.000 euros en cas de non déclaration de travailleurs détachés, responsabilité des donneurs d’ordre vis à vis des sous-traitants, etc…), même si les contrôles ont fortement augmenté (1.500 interventions par mois, selon le ministère du travail), la fraude reste massive. Et les inspecteurs du travail, qui traquent ces dérives, ont souvent l’impression « d’écumer la mer avec une cuillère à soupe ».

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