• Emmanuel Macron - Jean-François Kahn : le duel

    Événement

    Emmanuel Macron - Jean-François Kahn

    : le duel

    Propos recueillis par

     

    Tout à l'invention d'un nouveau projet capable de dépasser le clivage gauche-droite afin de rassembler tous les "progressistes", l'ancien ministre de l'Economie Emmanuel Macron a accepté d'en débattre avec notre ami Jean-François Kahn. Un duel inédit !
    - Anna Assouline pour Marianne

     

    Du 14e étage de la tour Montparnasse où il a installé ses nouveaux bureaux, on peut admirer la tour Eiffel. Mais on ne distingue pas l'Elysée. Pas encore. C'est pourtant l'objectif que s'est fixé Emmanuel Macron depuis qu'il a lancé son mouvement En marche en avril dernier, et plus encore depuis qu'il a quitté le gouvernement à la fin du mois d'août. Tout à l'invention d'un nouveau projet capable de dépasser le clivage gauche-droite afin de rassembler tous les "progressistes", l'ancien ministre de l'Economie a accepté d'en débattre avec notre ami Jean-François Kahn. Prophète du "centrisme révolutionnaire", le fondateur de Marianne a toujours été avide d'échanges pour inventer du neuf et régénérer notre démocratie. Deux heures durant, les deux hommes se sont donc interpellés, contestés, ou approuvés. Sans se ménager, ils ont passé en revue leurs accords et désaccords sur les échecs de la gauche au pouvoir, la faillite des élites politiques et économiques du pays, les dégâts commis par le néolibéralisme ou encore l'indispensable révolution des institutions. Un débat choc, vivifiant, et tourné vers l'avenir !

    Marianne : Emmanuel Macron, vous avez dit en lançant votre mouvement que vous n'étiez «ni à droite, ni à gauche», puis «et à droite, et à gauche». Est-ce à dire que, pour vous, aujourd'hui, ce clivage est dépassé ?

    Emmanuel Macron : Personnellement, je l'ai dit à plusieurs reprises, je suis de gauche : c'est mon histoire, ma culture, ma sensibilité. Mais je sais qu'aujourd'hui, l'état de la France nécessite de rassembler. L'objectif d'En marche est de réunir des gens venant de la gauche ou de la droite et qui ne se satisfont pas de leur engagement actuel, et des personnes sans engagement politique issues de la société civile. Ce mouvement n'a donc pas vocation à être enfermé dans l'espace politique actuel. Le ni-ni «jobertien» [de Michel Jobert] dans lequel on a voulu m'enfermer se réduit à une sorte d'union des centres qui est enserrée dans les deux grands blocs politiques qui écrasent tout. Je ne dis pas que les termes «gauche» et «droite» ne veulent plus rien dire. Mais ils ne veulent plus tout dire et n'épuisent pas la vitalité du débat politique.

    "Le vrai clivage est désormais entre les progressistes et les conservateurs"

    Aujourd'hui, cinq grands défis nous sont posés : la transformation de notre modèle productif qui nous fait passer d'une économie de rattrapage en crise à une économie de la connaissance et de l'innovation intégrant les transitions numériques et environnementales ; la question des inégalités qui fracturent l'ensemble des sociétés occidentales et émergentes ; notre rapport à la mondialisation ; la construction d'une souveraineté européenne ; la définition d'une société ouverte dans un monde incertain et donc l'articulation entre liberté individuelle et sécurité. Ces cinq grands défis fracturent profondément la gauche et la droite.

    Dans chacun de ces camps, le vrai clivage est désormais entre les progressistes et les conservateurs, et il y a aujourd'hui beaucoup plus de choses à partager entre les progressistes des deux camps. Droite et gauche utilisent chacune de son côté les primaires pour bâtir des compromis imparfaits et accéder au pouvoir par une série d'approximations en s'appuyant sur une base de 10 à 15 % de l'électorat. Ces compromis d'appareil n'ont plus de réalité idéologique et sont sans capacité d'action. Nous sommes à un moment de refondation politique qui est la condition même de la renaissance de notre pays, une renaissance qui n'est pas seulement économique et sociale, mais aussi politique et morale.

    Jean-François Kahn : Je suis d'accord sur ce constat. Je suis même surpris que les médias ne prennent pas en compte l'aspiration inédite qui existe à dépasser ce clivage. On le voit dans le fait que François Bayrou et Alain Juppé apparaissent en tête des choix des Français, mais aussi d'une certaine manière avec la percée de Marine Le Pen ou la poussée de Jean-Luc Mélenchon. Ce sont des symptômes. Mais ce n'est pas simplement le «ni-ni». Il faut penser ce qui fonde ce phénomène nouveau, comme ce qui a fondé le socialisme ou le libéralisme : quelle philosophie, quelle économie, quelle morale, quelle vision sociétale ? Il faut mener un vrai travail théorique et philosophique. C'est un effort gigantesque.

    "Le clivage entre progressistes et conservateurs, je m'en méfie un peu"

    J'ai deux désaccords avec vous. On ne peut s'en tenir ni au «ni-ni», ni au «et-et». Il faut aussi aller chercher des choses qui ne sont ni d'un côté, ni de l'autre ; il faut inventer ailleurs, autrement. L'autre risque, c'est de penser que dépasser la droite et la gauche, c'est se situer au milieu. C'est une vision très dangereuse. La vérité n'est jamais complètement d'un côté et jamais complètement de l'autre, mais l'un des rares endroits où elle n'est jamais, c'est au milieu ! Entre les résistants et les SS, elle est du côté des résistants, fussent-ils communistes. Entre les staliniens et les antistaliniens, elle est du côté des antistaliniens, fussent-ils très à droite. Pas au milieu. Dans le meilleur du gaullisme, il y avait une conception du dépassement du clivage gauche-droite qui est quand même plus intéressante que le milieu version Lecanuet.

    Quant au clivage entre progressistes et conservateurs, je m'en méfie un peu. Le stalinisme a été considéré comme un progressisme absolu face aux momies de la bourgeoisie. Le fascisme aussi a revendiqué une modernité totale face aux archaïques. Parfois, des réactionnaires se définissent comme progressistes parce que la République est dépassée. Ce clivage est donc souvent juste, mais il est aussi un peu dangereux. Dépasser les vieux clivages, c'est intégrer qu'il faut parfois être conservateur, réactionnaire et progressiste à la fois.

    (…)

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