Il marche sur un volcan, mais il marche. Manuel Valls le sait, dans le contexte actuel à gauche, il doit peser chacun de ses mots, car « le terrain est glissant, la matière inflammable », explique-t-il. La matière, c’est la déflagration créée au sein du PS par la parution du livre « Un président ne devrait pas dire ça… » (Stock). Cet ouvrage, largement nourri par des confidences de François Hollande aux journalistes du Monde Gérard Davet et Fabrice Lhomme, a porté un coup très dur à l’image du chef de l’Etat, et avec lui à tout l’édifice socialiste, à six mois de l’élection présidentielle.
Les 672 pages du livre ont provoqué la « colère » du premier ministre – il le reconnaît – et une forme de « honte », selon lui, chez les militants et les élus socialistes. « C’est ce que je ressens, il ne faut pas se taire et toujours nommer les choses », confie le chef du gouvernement, jeudi 27 octobre, dans l’avion qui le transporte en Gironde. M. Valls ne s’en cache pas : il est pris désormais entre sa loyauté envers M. Hollande par respect des équilibres institutionnels, mais aussi son obligation de tenir la barre dans la tempête. « Le pays a besoin d’incarnation », affirme-t-il, reprenant à dessein le mot employé mardi devant les députés PS par Claude Bartolone, le président de l’Assemblée nationale, qui juge que M. Hollande n’incarne plus correctement la fonction présidentielle.
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Pour le premier ministre, les cinq prochaines semaines vont être « décisives pour la gauche de gouvernement ». Elles vont démontrer si le chef de l’Etat, qui doit dire début décembre s’il se représente ou pas, est capable de reprendre lien avec sa majorité et avec les Français. « Le livre a provoqué un choc, un abattement chez les parlementaires, il a agi comme un révélateur », estime M. Valls. Si l’incendie n’est pas rapidement éteint, c’est « le destin de la gauche réformiste qui se joue », s’alarme-t-il. Car celle-ci peut être « atomisée » à la présidentielle et « sortir de l’Histoire ».
Recentrage à gauche
Alors oui, le premier ministre se prépare, mais pas pour empêcher M. Hollande, assure-t-il. Plutôt pour parer à toutes les éventualités, y compris celle d’une défection du président de la République, en résumant :
« A cause de la situation politique actuelle, j’ai le sentiment d’avoir une véritable responsabilité afin qu’on sorte le mieux possible de cette période très périlleuse. »
Pour avancer, M. Valls a enclenché une opération de recentrage à gauche. Il évoque désormais dans ses discours une laïcité plus inclusive et moins clivante. Il appelle, comme samedi 22 octobre à Tours, au « rassemblement » de la gauche, quand il parlait il y a encore quelques mois de « gauches irréconciliables ». Mercredi, à Bordeaux, il a de nouveau vanté le revenu universel, qui va être expérimenté par le département girondin, une « utopie concrète liée à la gauche du progrès social ».
Tacticien, il s’est aussi affiché tout l’après-midi avec Alain Rousset, le président socialiste de la Nouvelle-Aquitaine (Aquitaine - Limousin - Poitou-Charentes), en pleine guerre froide locale avec Ségolène Royal, sur fond de gestion financière de l’ancienne région Poitou-Charentes. Cela tombe bien, le nom de la ministre de l’écologie revient sans cesse comme une concurrente possible de M. Valls, si ce dernier devait concourir en janvier à la primaire du PS…
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« Je n’ignore rien de votre malaise »
Mais le premier ministre peine à s’imposer comme un recours indiscutable. Ses sondages sont aussi bas que ceux du chef de l’Etat, et les parlementaires socialistes, s’ils n’en pensent pas moins de M. Hollande, ne semblent toujours pas disposés à se rallier au sauveur de Matignon.
Alors, jeudi soir, devant les militants de la section PS de Mérignac, M. Valls a voulu montrer qu’il est prêt à se battre jusqu’au bout pour sa famille politique. « Je suis convaincu que rien n’est encore perdu pour 2017, il faut nous réveiller », leur lance-t-il. Il vante le bilan de son gouvernement et multiplie les attaques. Contre le FN, qui « a la haine de la France ». Contre la droite, dont « les propositions sont pour la plupart rejetées par les Français parce qu’elles ne correspondent pas au modèle républicain et social de notre pays ».
Il n’élude aucun sujet, pas même le cas Hollande. « Je n’ignore rien de votre malaise, dit-il aux militants. Qui sera candidat ? Le président peut-il se représenter ? Ces questions existent, vous en discutez. Il faut les résoudre et moi, comme premier ministre, j’y prends ma part. Vous pouvez compter sur moi. La fierté et l’espoir, j’en ai à revendre et j’ai envie demain de vous entraîner. »
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