INTOX. Najat Vallaud-Belkacem n'était pas contente ce matin sur France 2. Et pour cause, Nicolas Sarkozy a publié dans le Figaro une tribune sur l'éducation . Il y a notamment assuré vouloir rétablir les heures de français perdues par les écoliers. «Année après année, et chaque majorité doit assumer ses responsabilités en cette matière , ce sont près de 800 heures d’ enseignement du français qui ont disparu du CE1 à la classe de première» , écrit-il.

La ministre de l'Education lui a alors répondu, glissant au passage qu'elle avait rarement lu une tribune «avec autant d’énormités»

«Il dit : “C’est terrible parce que ces dernières années le nombre d’heures de français à l’ école primaire , là où on apprend les fondamentaux, n’a cessé de se réduire, c’est scandaleux, nous, nous reviendrons dessus.» Nicolas Sarkozy c’est celui qui a fait la semaine de quatre jours , c’est-à-dire celui qui a supprimé une matinée à l’école primaire , c’est-à-dire une demi-journée où on apprend justement du français.»

Pas de bol, pour une fois il n’est pas coupable (si ce n’est d’une exagération). 

DÉSINTOX.  Nicolas Sarkozy tire son chiffre de  «800 heures de français disparues»  d’une étude menée par «Sauvons les lettres», un collectif de profs de français qui se battent pour une augmentation du nombre d’heures de leur matière, récapitule toutes les évolutions horaires  depuis 1923 pour le primaire et depuis 1972 pour le collège . Résultat , la disparition des heures de français a été entamée il y a près de cinquante ans. Si l’on constate une baisse progressive et minime du nombre d’heures d’enseignement au collège depuis 1972, la suppression la plus importante d'heures de français a eu lieu au primaire en 1968. Les heures de français sont alors passées de 15  heures hebdomadaires à 10 heures, pour finalement atteindre en 1985 un taux très similaire à celui d'aujourd'hui.

Des centaines d'heures ont donc bien disparu «année après année» . Sauf que les chiffres sur lesquels Sarkozy s’appuie remontent à 2004, quand les horaires mis en place par une réforme de Jack Lang en 2002 étaient en application . A l’époque , un élève qui sortait de troisième avait étudié le français pendant 2 100 heures en moyenne depuis son entrée en CP, selon les chiffres dudit collectif  (voir cet article de France Info ), contre 2 808 heures pour un élève qui terminait le collège en 1976. Une différence de 700 heures.

Le collectif a depuis mis son étude à jour en se fondant sur les taux horaires de 2015. «Au total, en 2015, l’élève a perdu, primaire et collège additionnés, entre 522 et 612 heures» , conclut l’étude.  «Lorsqu’il arrive en seconde , il a eu, sauf aide familiale, autant d’heures d’enseignement qu’un élève arrivant en 4e en 1975.»

Mais si Nicolas Sarkozy pèche par exagération (ce ne sont pas 800 heures qui ont disparu mais entre 500 et 600, du CP à la troisième et pas du CE1 à la première), il n’est pour autant pas à blâmer, comme le fait la ministre de l'Education, pour cette diminution de l’enseignement du français. Sur ce coup, c' est bien Najat Vallaud-Belkacen qui verse dans l'intox.

La ministre a d'abord peut-être lu un peu vite. Alors que Nicolas Sarkozy parle des heures perdues par un écolier «du CE1 à la classe de première» , Najat Vallaud-Belkacem lui répond sur les heures d’enseignement au primaire. Une manière de s’attaquer à la semaine de quatre jours instaurée par  Xavier Darcos en 2008 lors du quinquennat Sarkozy. Mais l'accusation est mal choisie : car la semaine de quatre jours n'est pas responsable de la disparition des heures de français au primaire.

Les études du collectif «Sauvons les lettres» permettent de s'en assurer  : en 2008, le nombre d’heures de cours hebdomadaires au primaire passe de 26 à 24 heures. Ce n’est donc pas, contrairement à ce qu’affirme la ministre de l’Education, une demi-journée qui a été perdue mais deux heures. Surtout , les heures de français n'ont pas été touchées, elles sont même plus nombreuses par rapport à ce qui était prévu depuis la réforme de Jack Lang. En 2002, les horaires d’enseignement de français étaient de 9 heures minimum et 10 heures maximum en CP et en CE1 et de 6 heures minimum et 7 heures et demi maximum du CE2 au CM2. 

Source : Horaires de l'école élémentaire en CP et CE1 à partir de 2002

Source : Horaires de l’école élémentaire du CE2 au CM2 à partir de 2002

Avec la réforme de 2008, les 10 heures hebdomadaires deviennent la règle en CP et CE1 et les écoliers de CE2, CM1 et CM2 bénéficient désormais de 8 heures par semaine. Ce dispositif horaire n’a pas été remis en question depuis. La baisse du nombre d’heures de cours de français n’est donc pas à chercher du côté de la semaine de quatre jours. Les deux heures hebdomadaires perdues à l'occasion de la réforme ont plutôt pesé sur l’histoire-géo et les arts. En effet, les «pratiques artistiques et histoire des arts» sont passées de 108 heures obligatoires par an (en se basant sur une année scolaire de 36 semaines) à 81 heures annuelles en 2008. Même chose pour la «Découverte du monde». 

Source: Horaires de l'école élémentaire à partir de 2008.

On aurait imaginé la ministre de l’Education, habituée à entendre des contre-vérités sur ses réformes, plus avisée dans le choix de ses tacles. Au moins pour éviter de propager elle-même de nouvelles intox.

Pauline Moullot