L’Union européenne ou la crise sans fin… Les Néerlandais, en rejetant par référendum, mercredi, l’accord d’association entre l’UE et l’Ukraine, ont accru la gîte d’un bateau européen secoué par les crises à répétitions. Et ce, juste avant une autre consultation autrement plus périlleuse qui décidera, le 23 juin, du maintien ou non du Royaume-Uni dans l’Union. Certes, les Néerlandais ne se sont pas prononcés sur leur appartenance à l’UE, ce sujet ne pouvant pas être soumis à référendum. Mais le scrutin était un test de popularité de la construction communautaire dans ce pays qui fait partie des six premiers signataires du traité de Rome en 1957. Le verdict est a priori sans appel, puisque 61,1 % des Néerlandais ont voté non. Mais on est loin d’un raz-de-marée : ce premier référendum d’initiative populaire n’a mobilisé que 32 % du corps électoral. Néanmoins, il sera difficile au gouvernement libéral social-démocrate du Premier ministre Mark Rutte de ne pas tenir compte du résultat, même s’il est juridiquement consultatif. Un scrutin qui pose aussi de redoutables défis à l’Union. Passage en revue de cinq des conséquences de ce vote.

L’Ukraine fragilisée

Le référendum néerlandais n’a pas d’impact immédiat. De fait, l’UE a décidé d’appliquer provisoirement l’accord d’association avec l’Ukraine dès le 1er janvier 2015 afin de soutenir économiquement un pays étranglé par la guerre larvée que lui mène la Russie. «La période provisoire, qui porte sur l’essentiel, c’est-à-dire l’aspect commercial, n’a pas de durée limitée, ce qui nous donne le temps de trouver une solution, explique un diplomate européen. Il faut surtout éviter que ce référendum soit instrumentalisé par Vladimir Poutine qui ne peut que se réjouir du coup que viennent de porter les Néerlandais au régime ukrainien.» C’est loupé, le Kremlin s’étant immédiatement réjoui de la «défiance» qui a été manifestée par les Pays-Bas, tout comme les partis d’extrême droite qu’il soutient en Europe (le Front national en tête). De là à ce que Moscou se sente conforté dans ses revendications concernant l’Ukraine, il n’y a qu’un pas qui donne des sueurs froides aux chancelleries occidentales.

Une politique extérieure paralysée

Le non néerlandais est un coup dur pour la politique étrangère des Vingt-Huit. Les principaux instruments de l’influence de la première puissance économique du monde sont les accords commerciaux, les accords d’association et bien sûr les traités d’élargissement. C’est par ces moyens que Bruxelles parvient à exporter ses valeurs et ses normes, comme l’a montré sa gestion réussie de la transition démocratique des anciennes Républiques populaires d’Europe centrale et orientale, aujourd’hui membres à part entière de l’Union. «Ce sont aussi ces accords qui nous permettent de maintenir la stabilité dans les Balkans», souligne un diplomate bruxellois.

Négociés par la Commission, ces traités doivent être approuvés par l’ensemble des Etats membres et ratifiés par le Parlement européen et les Parlements nationaux. Or, l’irruption du référendum d’initiative populaire dans le champ diplomatique complique singulièrement la donne, fragilisant un processus déjà complexe.

En théorie, lorsqu’un accord est purement commercial, compétence exclusive de l’Union, l’approbation des Parlements nationaux n’est pas requise, et la majorité qualifiée d’Etats membres et du Parlement européen suffit. Mais la plupart des traités comprennent des aspects politiques et abordent des sujets qui relèvent de l’unanimité (exception culturelle, visas, etc.), ce qui rend les ratifications nationales nécessaires. «L’idée était d’inclure le commerce dans une démarche politique afin d’en faire un instrument diplomatique. Ne plus faire que du commercial pour éviter un référendum serait une sacrée régression», met en garde un diplomate européen.

L’élargissement rejeté

On a conscience, à Bruxelles, qu’il y a une «fatigue de l’élargissement». Aux Pays-Bas, les tenants du non ne s’y sont pas trompés, puisqu’ils ont expliqué que l’accord d’association avec l’Ukraine était un premier pas vers l’adhésion. Difficile de leur donner totalement tort puisque c’est ainsi que le présente Kiev, mais aussi les pays d’Europe de l’Est désireux d’arracher l’Ukraine à l’influence de Moscou, ainsi que la Russie elle-même, inquiète de cet expansionnisme de l’UE (et de l’Otan). «Il y a une hypocrisie à affirmer la perspective européenne des Balkans, de l’Ukraine ou de la Turquie», tranche un diplomate français. De fait, depuis les référendums français et néerlandais (déjà) de 2005 sur le traité constitutionnel européen, les gouvernements et la Commission savent que la majorité des opinions publiques d’Europe de l’Ouest est vent debout contre tout nouvel élargissement. Mais avouer officiellement que la porte de l’UE est fermée pour longtemps risque de déstabiliser durablement ses marchés.

Le projet européen contesté

«Il est horriblement difficile de gagner un référendum sur la question européenne», euphémise-t-on à Bruxelles. Depuis le traité de Maastricht de février 1992, on ne compte plus les référendums négatifs : Danemark, Suède, Irlande, France, Pays-Bas, Grèce et, sans doute, Royaume-Uni.

L’addition des mécontentements, tant vis-à-vis de l’Europe que du gouvernement en place, constitue presque toujours une majorité qu’il est difficile de renverser, «la conjuration des forces rationnelles ne faisant que renforcer les tenant du non, comme le note un diplomate bruxellois. Il y a aussi une incapacité à démontrer la valeur ajoutée de l’Union en période de crise».

Deux mécanismes incompatibles

Le référendum étant national, il donne un pouvoir de blocage à une infime minorité d’Européens. Un vote paneuropéen sur les questions qui relèvent des compétences de l’Union, comme pour l’accord d’association avec la Turquie, permettrait de lever l’objection.

Mais il n’existe aucun consensus entre les Etats pour instaurer une telle procédure : pour eux, la démocratie s’exerce pour l’essentiel dans un cadre national. Le référendum peut donc remettre en cause un consensus difficilement obtenu entre les Etats et le Parlement européen, y compris pour des textes adoptés à la majorité qualifiée des Vingt-Huit. «Il peut vite devenir un instrument de chantage pour certains Etats, comme on le voit en Grande-Bretagne, en Hongrie, en Pologne, ou pour les europhobes, ce qui paralysera durablement l’Union», prévient un haut fonctionnaire. Difficile aux proeuropéens de dénoncer ces référendums nationaux, sauf à être accusés de tenir à l’écart les peuples, ce qui renforcera mécaniquement le camp europhobe. Le piège est parfait.

Jean Quatremer