La rumeur se lève en milieu d’après-midi. Cécile Duflot est troisième (24,4 %) derrière Yannick Jadot et Michèle Rivasi et ne devance que Karima Delli. L’annonce est officielle en fin de journée : l’ancienne ministre est éliminée (dès le premier tour) de la primaire d’Europe Ecologie-les Verts (EE-LV). Une surprise, voire un séisme dans le parti. Après l’annonce des résultats, l’ancienne patronne de l’organisation a publié un texte sur Facebook. Elle écrit : «Les électeurs et les électrices ont majoritairement estimé que je n’étais pas la mieux placée pour porter le flambeau. J’en suis déçue, comme toutes celles et ceux qui ont cru en ma candidature. […] Je vous appelle toutes et tous à participer au second tour. Nous avons besoin d’une candidature écologiste qui tienne bon dans la tempête de 2017. Chacune et chacun fera son choix entre les deux candidatures arrivées en tête. Pour ma part, je soutiendrai comme je m’y suis engagée celle ou celui qui sera désignée.» Les dirigeants du parti - qui soutiennent majoritairement Cécile Duflot - sont KO debout. L’un d’entre eux nous explique froidement : «C’est un règlement de comptes. Ce n’est pas juste car elle paye son passé et sa participation au gouvernement alors qu’elle voulait tourner la page : c’est la première victime du quinquennat de la gauche.»

Son nom rime avec «passé»

La présidentielle est dans l’esprit de Cécile Duflot depuis le printemps 2014. Une date qui coïncide avec son refus de participer au gouvernement, désormais dirigé par un Manuel Valls qu’elle ne porte pas dans son cœur, humainement et politiquement. Une phrase revient alors en boucle dans la bouche de l’ancienne «chouchoute» de François Hollande : «Je me prépare.»L’ex-ministre montre une petite équipe pour «travailler le fond». L’opération Elysée porte un nom : «Vital Michalon», en hommage à un jeune, mort en 1977 lors d’une manifestation contre la centrale nucléaire Superphénix de Creys-Malville (Isère). Autour de la table, une quinzaine de personnes. Des membres d’EE-LV comme Julien Bayou (porte-parole du parti), David Cormand (secrétaire national) ou Marine Tondelier (conseillère municipale à Hénin-Beaumont). Mais aussi des «intellos» pas encartés. A l’image de l’économiste Thomas Porcher. L’équipe, orchestrée par Stéphane Pocrain, turbine sur tous les sujets : écologie, économie, jeunesse, etc.

En 2015, elle publie un livre sur la base de ses travaux, le Grand Virage. Le second objectif est plus rude pour Duflot : l’image. Au sein du parti, son nom rime avec «passé» et «magouilles politiques». Ils sont nombreux à vouloir définitivement tourner la page après les départs de Jean-Vincent Placé ou d’Emmanuelle Cosse, qui ont préféré participer au gouvernement Valls plutôt que de contribuer à l’autonomie d’EE-LV. Pour ses nombreux adversaires, le but est atteint. Les reproches sont aussi longs qu’un jour d’été. Notamment ses années à la tête du parti et sa sortie (incomprise par certains) du gouvernement. La députée n’a jamais esquivé le passé. «Je connais comme personne ce parti et c’est vrai que je suis comptable de certaines erreurs du passé, mais j’aime cette famille», nous disait-elle récemment. Ses proches (en interne et externe) jugent «injustes» le sort et le désamour qui entourent l’ancienne ministre.

Ces derniers temps, dans les sondages, sa cote de popularité décollait à peine du sol. Le passé dure longtemps. Cécile Duflot n’a jamais été fan de la primaire. Les cicatrices de 2011 restent fortes : le match remporté face à Hulot par Eva Joly (2 % au premier tour de la présidentielle) a fracturé le parti. La députée espérait le rassembler autour de sa personne, les électeurs ont, eux, plutôt fait le pari de se passer de ses services.

«Une vie avant la politique»

Cet été, elle avait remplacé le «je me prépare» par le «je suis prête». Et elle avait déclaré sa candidature à la primaire, le 20 août, déjà dans un long texte publié sur Facebook. Avec des phrases comme «l’espace est mince, mais il existe». Les membres de son équipe n’étaient pas tous chauds. En réponse, elle lâchait : «Je suis consciente que le risque de défaite est réel, mais la politique n’a jamais été une assurance-vie pour moi.» Un de ses proches nous raconte : «Elle avait des coups à prendre, elle le savait que c’était risqué, mais elle ne voulait pas tout laisser tomber après avoir travaillé sa candidature comme une malade. Et une fois qu’elle a dit "j’y vais", on n’avait plus trop le choix, donc on a foncé derrière elle.»

Mais la candidate impose une règle à ses concurrents : tenue correcte exigée. Pas d’insultes ni de coups de pied sous la table. Tout le monde joue le jeu. Une fois lancée dans la primaire, Cécile Duflot bouscule les codes des Verts et ouvre la porte du parti : elle nomme comme directrice de campagne la militante féministe Caroline De Haas, ancienne socialiste à l’origine de la pétition monstre contre la loi travail. Et l’économiste Thomas Porcher rejoint officiellement la troupe. Ils traversent le pays et créent «Café Duflot», un moment de rencontre avec les militants et les curieux. En parallèle, ils multiplient les mails et les contacts pour toucher et attirer le maximum de curieux à la primaire. La campagne se déroule dans une «bonne ambiance». La candidate est contente. Elle promet une «nouvelle histoire». Comprendre : rafler la primaire et ouvrir les portes du parti en grand. Selon ses mots, plusieurs personnalités (extérieures à EE-LV) étaient en salle d’attente. C’est raté.

L’ancienne ministre du Logement n’a jamais caché ses objectifs : prendre le pouvoir. «L’écologie peut et doit gagner.» Elle citait en exemple l’élection (à refaire) d’un président écolo en Autriche. Mais lorsqu’elle parlait de «victoire», la candidate se projetait dans dix ans. Pas en mai 2017. Cet été, à Lorient, lors de la rentrée d’EE-LV, on avait échangé avec Cécile Duflot sur ce que pourrait être son futur en cas de défaite. On lui avait dit : «Honnêtement, si vous perdez, ça va être très compliqué pour vous. Vous allez perdre en crédibilité et vos anciens ennemis ou amis. On pense à François Hollande, Jean-Luc Mélenchon ou Jean-Vincent Placé. Ils vont danser sous vos yeux… Ce n’est pas un peu trop risqué ?» Elle nous avait regardé avec un petit sourire avant de nous répondre : «Franchement, vous croyez quoi ? Que la politique, c’est toute ma vie ? Je connais ce parti et je sais que ça sera dur pour moi. Mais j’ai eu une vie avant la politique et je sais d’où je viens. Aujourd’hui, j’ai ma famille, mes enfants, et je suis heureuse. Donc si je perds, c’est la vie.»

Rachid Laïreche