Le Brésil était samedi plus divisé que jamais, l’avenir de la présidente de gauche Dilma Rousseff et de son prédécesseur Luiz Inacio Lula da Silva restant suspendu au bon vouloir de la justice et de députés.
Lula, qui fut le plus populaire président de l’histoire du Brésil, entre 2003 et 2010, est-il ou non ministre?
Vendredi soir, dans un nouvel épisode du feuilleton judiciaire, un juge du Tribunal suprême fédéral (STF), plus haute juridiction du pays, a suspendu son entrée récente au gouvernement, y voyant une «forme d’obstruction des mesures judiciaires» alors qu’il est soupçonné de corruption.
Selon le site juridique spécialisé Jota, le Tribunal, seule instance pouvant confirmer ou annuler cette suspension, ne se réunira pas avant le 30 mars, en raison des vacances de Pâques.
Pendant 11 jours, Lula, icône de la gauche brésilienne, ne peut donc exercer ses fonctions de chef de cabinet (quasi-Premier ministre) de Dilma Rousseff, qui l’avait nommé mercredi.
Plus important encore, il redevient simple justiciable.
Dans ce laps de temps, le juge Sergio Moro, qui soupçonne Lula de corruption et blanchiment d’argent dans le cadre du scandale autour du groupe pétrolier d’Etat Petrobras, «peut ordonner sa détention (provisoire) mais il devra démontrer qu’il existe des faits la justifiant», a affirmé à l’AFP Carlos Gonçalves, professeur de droit de l’Université catholique de Sao Paulo.
Renouant avec les accents de tribun de sa jeunesse de leader syndical, Lula avait harangué vendredi la foule de ses partisans à Sao Paulo: «Nous n’allons pas accepter qu’il y ait un coup d’Etat au Brésil!».
La journée de mobilisation de la gauche brésilienne a vu 267.000 militants et sympathisants, selon la police, défiler dans 55 villes du pays.
C’est dix fois moins que les trois millions de Brésiliens descendus dans les rues la semaine dernière pour réclamer le départ de la chef de l’Etat.
«Nous voulons la démission de Dilma et la prison pour Lula, puis pour tous les politiciens corrompus, quel que soit leur parti», confiait samedi Bruno Balestrero, acteur de 27 ans, dans une manifestation anti-gouvernement à Sao Paulo.
- 'L’exercice du pouvoir républicain' -
Dans le géant d’Amérique latine, hôte des jeux Olympiques de Rio en août prochain mais paralysé par la récession économique et la tempête politico-judiciaire autour du Parti des travailleurs (PT) au pouvoir, les défilés des deux camps se succèdent depuis plusieurs mois, reflétant une société profondément divisée.
«Les cris des putschistes ne vont pas me faire dévier de mon cap», a clamé jeudi Dilma Rousseff, elle aussi en danger alors que le Parlement se penche sur une éventuelle procédure de destitution.
La Commission spéciale de 65 députés chargée de rendre un premier avis a entamé vendredi ses travaux à marche forcée, souhaitant les boucler d’ici un mois, sous l’impulsion du président du Congrès des députés Eduardo Cunha, farouche adversaire de Mme Rousseff et poursuivi dans le scandale Petrobras.
L’opposition accuse la présidente d’avoir sciemment maquillé les comptes publics l’année de sa réélection, en 2014.
Vendredi soir, l’Ordre général des avocats (OAB) a apporté son soutien à la procédure de destitution. «Il faut admettre qu’il y a, en effet, des éléments juridiques complets qui mènent à une demande de destitution pour des actes comptables» réalisés par la présidente, a expliqué le porte-parole du dossier pour l’OAB, Erick Venancio Lima do Nascimento.
Il a rejeté les accusations de coup d’Etat brandies par la gauche: cette procédure «est l’exercice du pouvoir républicain», a-t-il souligné.
Jusqu’à présent, le président Fernando Collor de Mello (1990-1992) avait été le seul dans l’histoire du pays à être destitué, pour corruption.
Mais, selon Waldir Pucci, spécialiste de science politique interrogé par l’agence d’Etat Agencia Brasil, dans son cas «il y avait unanimité». Après les manifestations de vendredi, il est clair qu'«une partie de la société soutient Dilma».
Le rapport de la Commission sera soumis à l’Assemblée plénière des députés: si les deux tiers (342 sur 513) prononcent la mise en accusation de la présidente devant le Sénat, elle serait écartée de ses fonctions pendant 180 jours au maximum. Il faudrait ensuite les deux tiers des sénateurs (54 sur 81) pour la destituer.