C’était un message fort pour les victimes de violences conjugales. Il y a plus de six mois, le 31 janvier, François Hollande accordait une grâce présidentielle partielle à Jacqueline Sauvage, 68 ans, condamnée en appel à dix ans de réclusion pour le meurtre en 2012 de son mari qui la battait depuis des années et avait violé ses filles. Depuis, le sort de cette sexagénaire était entre les mains du juge d’application des peines de Melun (Seine-et-Marne). La grâce partielle présidentielle est en effet une remise de peine qui permet seulement de présenter une demande de libération conditionnelle plus tôt que prévu. Sans cela, Jacqueline Sauvage aurait dû attendre janvier 2017 pour faire la demande, soit à partir de la moitié de sa peine et après la période de sûreté.

Mais vendredi matin, le juge d’application des peines de Melun et ses deux assesseurs, ont douché ses espoirs en rejetant sa remise en liberté. Dans une décision très motivée – un peu plus de quinze pages –, ils reprochent à Jacqueline Sauvage «de ne pas avoir confirmé qu’elle avait finalement choisi de commettre ces faits et de ne pas assez s’interroger sur son acte», ont rapporté ses avocates Me Nathalie Tomasini et Janine Bonaggiunta. Or, «nous n’avons eu de cesse de démontrer qu’elle n’avait eu d’autres choix que le passage à l’acte et qu’elle est une victime. La décision tend à dire que Jacqueline Sauvage n’a pas accepté le fait que c’est une criminelle, c’est intolérable», s’emportent Me Nathalie Tomasini et Janine Bonaggiunta.

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Condamnée à dix ans de prison pour meurtre aggravé, la libération conditionnelle de Jacqueline Sauvage dépendait de l’évaluation de sa dangerosité. Elle avait ainsi été placée pendant six semaines dans le Centre national d’évaluation (CNE) au sein de la prison de Réau, en Seine-et-Marne, où elle se trouve toujours, pour se soumettre à une expertise psychologique et médicale dont la conclusion avait été positive pour la défense. Mais alors qu’un autre rapport psychologique estimait que Jacqueline Sauvage n’était pas dangereuse, la commission pluridisciplinaire des mesures de sûreté, où siègent notamment le préfet du département et un bâtonnier, avait émis un «avis défavorable» à sa libération. «Le TAP de Melun a suivi ce dernier avis alors que tous les autres lui étaient favorable», explique Me Nathalie Tomasini à Libération. 

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Surtout, le TAP estime que «l’importante médiatisation de l’affaire rend difficile une authentique démarche de réflexion pour madame Sauvage qui est encouragée à se cantonner dans un positionnement exclusif de victime sans remettre en question son questionnement psychique personnel et sans s’interroger sur sa part de responsabilité dans le fonctionnement pathologique de son couple», stipule en partie le jugement. Mariée pendant près de cinquante ans, Jacqueline Sauvage subissait, en silence, les coups, les insultes et les menaces. Condamnée pour avoir tué son mari de trois coups de fusil dans le dos, elle est ainsi devenue un symbole de toutes les femmes victimes de violences conjugales malgré elle, estime Me Tomasini « Accaparée par la médiatisation, Jacqueline Sauvage n’aurait selon le TAP, pas travaillé sur le pourquoi de son passage à l’acte pour éviter de recommencer. Le TAP n’exclut donc pas la récidive et estime qu’elle est potentiellement dangereuse» Depuis sa première condamnation, les soutiens se sont multipliés pour demander sa libération. Une mobilisation politique, médiatique – Libération en avait fait sa une en décembre - en interpellant François Hollande – mais aussi citoyenne. Une pétition, relayant le recours en grâce demandé par ses filles qui avaient été abusées par leur père, avait notamment recueilli plus de 430 000 signatures.

Le  TAP de Melun justifie aussi sa décision en indiquant que Jacqueline Sauvage qui souhaitait vivre chez l’une de ses trois filles dans le Loiret, près de la tombe de son fils qui s’est suicidé, «ne peut prétendre vivre à proximité des lieux des faits» où a eu lieu l’homicide. «Ils estiment que tout le village allait l’acclamer et quelle serait ainsi replacée dans une position victimaire. Le Préfet pense aussi que cela rouvrirait des traumatismes dans la population et pourrait entrainer un trouble à l’ordre public», explique Me Nathalie Tomasini. «Jusqu’où va-t-on martyriser cette femme ?» s’emporte-elle. Selon elle, cette décision «incompréhensible et choquante» est avant tout une «décision politique» : les magistrats n’auraient pas digéré que le Président s’immisce dans les décisions des institutions judiciaires qui veulent aujourd’hui «affirmer leur souveraineté».

Le  parquet, qui avait pris des réquisitions favorables à sa remise en liberté, va faire appel, tout comme Jacqueline Sauvage qui l’a annoncé a ses avocates vendredi après midi. «Je vais tenir. On va continuer à se battre», leur a-t-elle dit des sanglots dans la voix.

Cécile Bourgneuf