Tout va bien, les Britanniques ont conservé le sens de l’humour. Le pays fait face à un avenir incertain mais un revenant à la tignasse blonde menaçante, donné mort politiquement il y a quelques jours, est de retour sur le devant de la scène. Pour résumer le sentiment ambiant après la nomination surprise de Boris Johnson au poste de ministre des Affaires étrangères, le Daily Mirror a pastiché la une de Libération des 25 et 26 juin derniers. Le journal populaire de gauche affichait ce jeudi la désormais célèbre photo de l’ancien maire de Londres, suspendu dans les airs et agitant de petits Union Jack, avec ces mots : «Dear World… Sorry» (cher monde… désolé).

Today's front page: Dear World... Sorry http://www.mirror.co.uk/news/uk-news/britain-faces-being-laughing-stock-8416990 

 

Le choix de la nouvelle Première ministre depuis mercredi, Theresa May, a stupéfait. Au Royaume-Uni et à l’étranger. «La nomination la plus idiote depuis que Caligula a nommé consul son cheval», a ainsi jugé Paddy Ashdown, ancien chef du parti libéral-démocrate. L’ex-Premier ministre suédois Carl Bildt a tweeté la photo de Boris suspendu avec cette mention désolée : «J’aurais aimé que ce soit une blague, mais j’ai bien peur que ça n’en soit pas une…»

Boris Johnson, 52 ans, chef de file du camp du Brexit pour le référendum de sortie de l’Union Européenne, s’était défilé piteusement la semaine dernière, refusant de participer à la course pour devenir Premier ministre. Cosmopolite - il est né à New York, a grandi à Bruxelles, a un arrière-grand-père turc et parle plusieurs langues -, ses positions sur la politique étrangère se résument pourtant à un catalogue de gaffes et d’insultes. Mais le voilà récompensé.

Hitler

Theresa May, qui il y a quelques jours mettait en doute les qualités de négociateur de «BoJo», a pris un risque mesuré. Elle a éliminé de son maroquin une série de prérogatives qui iront à deux nouveaux ministères chargés de négocier le Brexit et les futurs accords de commerce internationaux. Ce qui, de fait, limite l’implication de Boris Johnson dans les vraies négociations sur la sortie de l’UE. Theresa May a pris soin de garder près d’elle un homme politique encore populaire, qui aurait sans doute été plus dangereux à l’extérieur du gouvernement.

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Les eurocrates de Bruxelles ne seront pas mécontents d’être exempts de négociations directes avec Boris Johnson. Correspondant à Bruxelles du Daily Telegraph dans les années 90, il y a laissé un souvenir mitigé. Il s’était alors fait une spécialité de déformer, ou carrément inventer une série d’histoires sur l’Union européenne. Plus récemment, il a comparé les desseins de l’Union à ceux d’Adolf Hitler.

Boris Johnson va probablement entamer sa carrière de chef de la diplomatie par une tournée d’excuses internationales. Il y a deux mois, il a ainsi commis un sonnet impertinent sur le président turc Recep Tayyip Erdogan, impliquant le chef d’état dans des activités sexuelles avec une chèvre. A l’annonce de la nomination de Johnson, le Premier ministre turc Binali Yildirim a soupiré et souhaité que «Dieu vienne en aide à Boris Johnson et le transforme». Une grande partie des commentaires non-diplomatiques de Boris Johnson sont issus de sa tribune hebdomadaire dans le Daily Telegraph pour laquelle il est payé quelque 275 000 livres par an (soit 300 000 euros).

Offenses

Si Hillary Clinton remporte la présidence américaine, il sera intéressant d’observer leur première rencontre. En 2007, Boris Johnson l’avait décrite comme «une blonde artificielle, aux lèvres gonflées et au regard bleu d’acier, comme une infirmière sadique dans un hôpital psychiatrique». Mais il pourrait rencontrer d’abord Barack Obama, qu’il a accusé d’entretenir une «répulsion ancestrale pour l’empire britannique liée à ses origines partiellement kenyanes». En novembre 2015, à peine le pied posé en Israël, il trouvait le moyen d’offenser les Palestiniens, provoquant l’annulation de la deuxième partie de sa visite. Plus tôt, en septembre 2006, il avait traité la Papouasie-Nouvelle-Guinée de pays friand «d’orgies cannibales». Et deux ans plus tard, qualifié les habitants du Commonwealth de «négrillons» et les Africains d’individus aux «sourires de pastèques». S’il a traité Vladimir Poutine de «tyran manipulateur et sans scrupules», il a récemment jugé qu’il pourrait être utile de s’allier aux présidents russe et syrien pour défaire l’Etat islamique. Quelques mois plus tôt, il disait exactement le contraire.

Avec la Chine, ses relations ont été plus cordiales. Maire de Londres, il y a favorisé les investissements chinois. Même s’il a assuré sur le ton de la plaisanterie que le ping-pong avait été inventé par les Britanniques au XIXe siècle… Qui sait ? Son entregent, sa capacité à susciter une certaine sympathie pourraient se révéler un atout pour le Royaume-Uni. Mais Johnson, qui n’a jamais occupé de poste ministériel, ne sait pas faire preuve de mesure. «Vous savez bien quel est son style […]. Dans la campagne, il a beaucoup menti aux Britanniques, a envoyé son homologue français, Jean-Marc Ayrault. Maintenant c’est lui qui est au pied du mur.»

 

Edit à 20 heures. «We are not leaving Europe», a déclaré jeudi soir Boris Johnson devant des Français de Londres sceptiques, à l'ambassade où il faisait sa première sortie officielle à l'occasion du 14 Juillet.

Sonia Delesalle-Stolper correspondante à Londres