Larossi Abballa était-il un as de la dissimulation ? Voilà six ans que l’appareil antiterroriste se penche sur le cas de ce Français de 25 ans, auteur de l’assassinat des deux fonctionnaires de police, lundi soir à Magnanville (Yvelines). Six ans au cours desquels, ce «soldat du califat» aura été signalé, mis sur écoute, incarcéré, jugé. En vain. A chaque étape de son parcours criminel, Abballa a toujours été considéré comme un «élément mineur», «secondaire», «périphérique».

Né le 28 mars 1991 à Meulan-en-Yvelines, Larossi Abballa commet ses premiers délits à 17 ans : une conduite sans permis et un refus d’obtempérer. Le 7 juin 2009, le tribunal correctionnel de Versailles le condamne à 60 jours-amendes à 10 euros pour vol. C’est en septembre 2010 qu’il apparaît pour la première fois dans les radars de la Direction générale de la sécurité intérieure (DGSI). A l’époque, Abballa fraye avec un certain Niaz Abdul Raseed, un Indien de 33 ans qualifié «d’ultraradical», dont le dessein est de créer une organisation musulmane dotée d’une branche militaire en France. Entre le 5 décembre 2010 et le 26 février 2011, huit hommes repérés par les services secrets s’entraînent dans les parcs de La Courneuve (Seine-Saint-Denis), de Cormeilles-en-Parisis et du Val d’Argenteuil (Val-d’Oise). Au menu ? Footings, pompes et… égorgements de lapins.

 

«Nettoyage». En février 2011, la DGSI considère le dossier suffisamment sérieux pour diligenter une première salve d’écoutes administratives. Dès le 15 février, par SMS, Larossi Abballa fait part de son impatience de partir combattre dans les zones tribales pakistanaises : «S’il vous plaît, laissez-moi y aller, SVP, SVP, SVP», envoie-t-il à Saad Rajraji, un autre membre du groupe. Le 28 février, il écrit de nouveau à son ami Rajraji : «Faut commencer le taf.» Avant de préciser : «Nettoyage de kouffar [mécréants, ndlr]». La discussion entre les deux hommes se poursuit. Saad Rajraji suggère alors de faire sauter Charlie Hebdo. Ce à quoi Larossi Abballa répond sans équivoque : «On va pas attendre d’être tous allés chez les frères et revenir chacun notre tour pour commencer.»

Trois mois plus tard, le 14 mai 2011, Abballa est arrêté, mis en examen par le juge Marc Trévidic pour «association de malfaiteurs en relation avec une entreprise terroriste» et placé en détention provisoire. Lors d’une perquisition menée au domicile de ses parents, aux Mureaux (Yvelines), les enquêteurs retrouvent dans l’ordinateur familial plusieurs vidéos de propagande du jihad. Ils saisissent également une clé USB pour le moins significative puisqu’elle contient, selon la procédure, «des cours relatifs à la religion musulmane», «une brochure présentant Al-Qaeda comme un groupe défendant l’islam et le Coran face à un complot judéo-chrétien ayant pour but l’anéantissement de l’islam» (sic), ainsi qu’une méthode de musculation. Lors de sa garde à vue, pourtant, Larossi Abballa ne se démonte pas et nie tout en bloc. Il se déclare athée, indique «faire du foot avec ses copains» et soutient même qu’il n’est pas musulman. Confronté aux SMS compromettants, il rétorque, stoïque, «faire semblant de pratiquer la religion». Les services pénitentiaires n’ont, eux, pas le sentiment de faire face à un faux prêcheur puisqu’ils signalent à plusieurs reprises «son comportement prosélyte».

Lors de l’audience devant le tribunal correctionnel de Paris, Abballa use toujours de la même stratégie de défense : il minimise son engagement et réfute tout projet de départ au Pakistan. «Il ne faisait pas montre d’un discours radical, se souvient Hervé Denis, avocat de l’un de ses coprévenus, Zohab Ifzal. Il m’est apparu comme un jeune ordinaire des cités, sans aspérité, en recherche d’identité, de considération.» Le 30 septembre 2013, Larossi Abballa écope d’une peine de trois ans de prison dont six mois avec sursis. Le refrain du jeune chômeur venant de rater son CAP, et qui s’est laissé influencé par le charisme de Niaz Abdul Raseed, semble avoir convaincu les juges. Ou est-ce plutôt qu’il ne s’est jamais rendu au Pakistan à la différence de Zohab Ifzal et de Charaf-Din Aberouz, partis rencontrer un cadre d’Al-Qaeda à Lahore (Pakistan) ? Deux de ses compères de l’époque ont été placés mardi en garde en vue.

Toujours est-il qu’après deux ans et demi de détention provisoire, Abballa est libéré immédiatement après le jugement. La DGSI émet alors une fiche S («sûreté de l’Etat»). Sous le coup d’un sursis avec mise à l’épreuve, Abballa est suivi par les services pénitentiaires d’insertion et de probation (Spip). Ces derniers ne détectent aucun comportement problématique et soulignent «un discours lisse, quoiqu’assorti d’une pratique assidue de l’islam», dixit le procureur de Paris, François Molins. D’avril à août 2015, la DGSI entame tout de même un nouveau cycle d’écoutes administratives. Mais, selon une source policière haut placée, elles ne débouchent, là encore, sur «rien d’intéressant».

Logorrhée. Le 28 décembre 2015, Larossi Abballa crée sa propre enseigne de restauration rapide, Dr. Food. Selon le registre du commerce, l’activité est domiciliée à Mantes-la-Jolie (Yvelines), où il vit désormais seul. Les services de réinsertion y voient le signe d’une progression du jeune homme, qui utilise abondamment les réseaux sociaux pour vanter la qualité de ses produits. Abballa leur réclame à plusieurs reprises le report de ses convocations, doléances qu’il justifie aisément par ses horaires de travail nocturne.

En mars 2016, le bourreau du couple de policiers apparaît pour la troisième fois en cinq ans sur des écoutes téléphoniques, mais cette fois-ci judiciaires. La Sous-Direction antiterroriste de la PJ (Sdat) travaille discrètement sur un couple parti en Syrie en 2015, et dont les ramifications mènent à Abballa. Mais, pour la énième fois, «on n’apprend rien à part qu’il cherche une épouse», atteste une source proche du dossier.

Lundi soir, lorsqu’il se rend au domicile de Jean-Baptiste Salvaing et de Jessica Schneider pour les tuer, Larossi Abballa emporte une djellaba blanche et un Coran dans sa voiture. A ce stade, les enquêteurs ignorent la façon dont Abballa a sélectionné ses victimes. Mais s’avouent troublés «par l’extrême proximité entre les lieux d’habitation des victimes et du terroriste». Une source au sein de l’antiterrorisme s’alarme : «Soit cet homme est un maître de la dissimulation et c’est extrêmement préoccupant, soit quelque chose a fait office récemment de déclic.»

Mardi, François Molins a révélé que «Larossi Abballa avait prêté allégeance au calife de l’Etat islamique, Abou Bakr al-Baghdadi il y a trois semaines». Peu après le double assassinat, le terroriste diffuse sa logorrhée dans une vidéo, qu’il partage avec sa centaine de contacts Facebook. Il y réitère son affiliation à l’EI et assure avoir répondu à l’appel d’Abou Mohammed al-Adnani, le porte-parole de l’Etat islamique. Dans un message diffusé le 21 mai, ce dernier appelait à des attaques contre les Etats-Unis et l’Europe pendant le mois du ramadan, qui a débuté le 6 juin.

 

Willy Le Devin , Julie Brafman