• Marine Quenin, la connaissance avant la croyance

    LIEN

    #CeuxQuiFont : Elle donne aux enfants des clés
    pour comprendre les religions

    Marine Quenin,

    la connaissance avant la croyance

     

     

    Après avoir constaté que sa fille ignorait tout du fait religieux, Marine Quenin a fondé l’association Enquête,

    qui sensibilise les enfants aux religions et leur enseigne la laïcité.

    C’est à un public particulier que s’adresse l’imam de la mosquée Omar en cet après-midi de juin. Dans une trentaine de minutes,

    il délivrera son prêche du vendredi, les fidèles commencent déjà à arriver rue Jean-Pierre-Timbaud, à Paris. Mais, pour l’heure,

    il répond aux questions d’un petit groupe d’enfants, accueilli au premier étage de la mosquée. L’atmosphère est calme, les

    échanges bercés par le souffle des ventilateurs. « Il est écrit quoi sur le tableau accroché derrière vous ? Pourquoi vous utilisez

    le calendrier lunaire ? De quelle heure à quelle heure faites-vous la prière ? »

    Pour Marine Quenin, qui les accompagne ce jour-là, c’est comme ça que tout a commencé. Par des questions d’enfants. Il y a

    huit ans, pendant la visite d’une église, sa fille aînée Agathe lui demande si des gens dorment à l’« autel ». Un soir, elle rentre de

    l’école affolée : son ami Elias « est très malade », il a mangé du porc par mégarde. Un autre, elle se réjouit d’être « en vacances

    de la Poussin ». Certains auraient pu s’amuser de ces interprétations infantiles ; juger qu’avec le temps tout ça finirait par avoir

    du sens. Elle a vu dans ces remarques de profondes lacunes sur des sujets essentiels.

    « Indispensable pour comprendre le monde »

    « Je me suis rendu compte qu’il y avait un réel besoin de donner des clés aux enfants sur les religions »,explique avec énergie

    cette mère de trois enfants. D’un geste rapide, elle dégage une mèche de cheveux blonds de son visage, puis reprend : « C’est

    indispensable pour qu’ils comprennent le monde dans lequel ils évoluent. » Déterminée, elle se met alors, parallèlement à son

    métier de cheffe de projet, à réfléchir à un moyen de combler ces lacunes.

     

    Elle se tourne d’abord vers les manuels scolaires, « convaincue » que sa fille allait aborder ces sujets-là à l’école. Les questions

    relatives à la religion sont bien au programme, constate-t-elle, mais elles ne sont pas traitées dans les classes pour autant.

    Marine Quenin évoque une série de raisons à cela : des programmes trop chargés, une méconnaissance de la part des

    enseignants, et, surtout, le tabou concernant tout ce qui touche à la religion en France. Or, pour elle, qui est agnostique,

    impossible de « bien vivre ensemble » dans une société multiculturelle si l’on ignore tout des croyances de son voisin.

    Soutenue par son mari, elle décide de créer l’association Enquête, pour sensibiliser les enfants au fait religieux, en

    s’appuyant sur la laïcité. Ce principe fournit « un cadre très clair » à sa démarche, car il permet de parler de religion

    « de manière apaisée », sous l’angle de la connaissance et non de la croyance. Au premier étage de la mosquée Omar,

    Marine Quenin incite les enfants à observer : « Qu’est-ce qui, autour de vous, vous interpelle ? »

    « Ne pas continuer à ne rien faire »

    Depuis six ans maintenant, Enquête organise des ateliers dans des centres sociaux et des écoles pour des enfants entre

    7 et 11 ans. Réparties sur un trimestre ou une année scolaire entière, les séances alternent cours classiques et jeux

    inspirés du Taboo, du memory ou du pendu, afin de rendre les enfants acteurs de leur réflexion. Les trois dernières

    séances sont généralement consacrées à des visites culturelles de lieux de culte de leur quartier. Avant la mosquée, le

    groupe a visité une église et une synagogue.

    A 42 ans, Marine Quenin a toujours travaillé dans le « domaine de l’intérêt général ». A la tête de l’incubateur social

    d’une école de commerce, elle avait à l’esprit depuis quelque temps de monter son propre projet plutôt que de travailler

    sur ceux des autres. « Je me suis lancée le jour où j’ai pris conscience qu’il n’était pas nécessaire d’avoir une idée géniale

    pour changer les choses. »

    Une « bonne idée » pouvait déjà faire beaucoup. « La mienne n’est pas révolutionnaire, mais elle est nécessaire »,

    résume-t-elle sans rougir.

     

    Enquête est de plus en plus sollicitée. Au point que Marine Quenin a fini par quitter son poste, pour se consacrer

    entièrement à la petite association dont elle est aujourd’hui salariée. « Après les attentats de 2015, ceux qui travaillaient

    dans le monde de l’éducation se sont rendu compte qu’on ne pouvait plus continuer à ne rien faire », relève-t-elle,

    convaincue. Consécration, en 2015, cinq ans après sa création, Enquête a reçu l’agrément de l’éducation nationale, qui

    rend possible l’intervention de ses animateurs dans les écoles publiques.

    Priorité à la formation d’animateurs

    En six ans, Marine Quenin a vu des enfants évoluer. « Parvenir en fin d’année à faire visiter une synagogue à un enfant qui

    tenait auparavant des propos ouvertement antisémites montre qu’on a réussi à le faire bouger »,sourit-elle. Mais, à l’heure

    « la prise de conscience est collective » sur ces questions, Enquête est confrontée à ses limites. Avec ses moyens actuels,

    l’association touche 800 élèves alors qu’ils sont 100 000 par classe d’âge. La priorité est donc désormais la formation

    d’animateurs directement dans les centres sociaux. « Il faut qu’on travaille à être repris par d’autres », anticipe Marine

    Quenin.

    Jules, 10 ans, lève la main : « Pourquoi il y a marqué 1437 sur l’horloge derrière vous ? »,demande-t-il à l’imam, qui plisse

    les yeux et sourit.

    Il n’a pas l’habitude de répondre à ce genre d’interrogation concrète. Il détaille qu’il y a mille quatre cent trente-sept ans

    Mahomet quittait La Mecque pour Médine. « Alors, c’est l’année de naissance de l’islam », comprend Martin, même âge que Jules.

    Il réfléchit et ajoute : « L’islam ne commence pas au moment de la naissance de Jésus. » Il vient de saisir une différence

    fondamentale entre les deux religions.

    La troisième édition du Monde Festival se tient à Paris du 16 au 19 septembre 2016 sur le thème « Agir ». Retrouvez

    le programme du Monde Festival et envoyez-nous vos idées de portraits et d'initiatives à agir@lemonde.fr.

     

    Après avoir constaté que sa fille ignorait tout du fait religieux, Marine Quenin a fondé l’association Enquête,

    qui sensibilise les enfants aux religions et leur enseigne la laïcité.

    C’est à un public particulier que s’adresse l’imam de la mosquée Omar en cet après-midi de juin. Dans une trentaine de

    minutes, il délivrera son prêche du vendredi, les fidèles commencent déjà à arriver rue Jean-Pierre-Timbaud, à Paris.

    Mais, pour l’heure, il répond aux questions d’un petit groupe d’enfants, accueilli au premier étage de la mosquée.

    L’atmosphère est calme, les échanges bercés par le souffle des ventilateurs. « Il est écrit quoi sur le tableau accroché

    derrière vous ? Pourquoi vous utilisez le calendrier lunaire ? De quelle heure à quelle heure faites-vous la prière ? »

    Pour Marine Quenin, qui les accompagne ce jour-là, c’est comme ça que tout a commencé. Par des questions d’enfants.

    Il y a huit ans, pendant la visite d’une église, sa fille aînée Agathe lui demande si des gens dorment à l’« autel ». Un soir,

    elle rentre de l’école affolée : son ami Elias « est très malade », il a mangé du porc par mégarde. Un autre, elle se réjouit

    d’être « en vacances de la Poussin ». Certains auraient pu s’amuser de ces interprétations infantiles ; juger qu’avec

    le temps tout ça finirait par avoir du sens. Elle a vu dans ces remarques de profondes lacunes sur des sujets essentiels.

    « Indispensable pour comprendre le monde »

    « Je me suis rendu compte qu’il y avait un réel besoin de donner des clés aux enfants sur les religions »,explique avec

    énergie cette mère de trois enfants. D’un geste rapide, elle dégage une mèche de cheveux blonds de son visage, puis

    reprend : « C’est indispensable pour qu’ils comprennent le monde dans lequel ils évoluent. » Déterminée, elle se met

    alors, parallèlement à son métier de cheffe de projet, à réfléchir à un moyen de combler ces lacunes.

     

    Elle se tourne d’abord vers les manuels scolaires, « convaincue » que sa fille allait aborder ces sujets-là à

    l’école. Les questions relatives à la religion sont bien au programme, constate-t-elle, mais elles ne sont

    pas traitées dans les classes pour autant. Marine Quenin évoque une série de raisons à cela : des program-

    mes trop chargés, une méconnaissance de la part des enseignants, et, surtout, le tabou concernant tout ce qui

    touche à la religion en France. Or, pour elle, qui est agnostique, impossible de « bien vivre ensemble » dans

    une société multiculturelle si l’on ignore tout des croyances de son voisin.

    Soutenue par son mari, elle décide de créer l’association Enquête, pour sensibiliser les enfants au fait religieux,

    en s’appuyant sur la laïcité. Ce principe fournit « un cadre très clair » à sa démarche, car il permet de parler de

    religion « de manière apaisée », sous l’angle de la connaissance et non de la croyance. Au premier étage de la

    mosquée Omar, Marine Quenin incite les enfants à observer : « Qu’est-ce qui, autour de vous, vous interpelle ? »

    « Ne pas continuer à ne rien faire »

    Depuis six ans maintenant, Enquête organise des ateliers dans des centres sociaux et des écoles pour des

    enfants entre 7 et 11 ans. Réparties sur un trimestre ou une année scolaire entière, les séances alternent

    cours classiques et jeux inspirés du Taboo, du memory ou du pendu, afin de rendre les enfants acteurs de

    leur réflexion. Les trois dernières séances sont généralement consacrées à des visites culturelles de lieux de

    culte de leur quartier. Avant la mosquée, le groupe a visité une église et une synagogue.

    A 42 ans, Marine Quenin a toujours travaillé dans le « domaine de l’intérêt général ». A la tête de l’incubateur

    social d’une école de commerce, elle avait à l’esprit depuis quelque temps de monter son propre projet plutôt que

    de travailler sur ceux des autres. « Je me suis lancée le jour où j’ai pris conscience qu’il n’était pas nécessaire

    d’avoir une idée géniale pour changer les choses. » Une « bonne idée » pouvait déjà faire

    beaucoup. « La mienne n’est pas révolutionnaire, mais elle est nécessaire », résume-t-elle sans rougir.

     

    Enquête est de plus en plus sollicitée. Au point que Marine Quenin a fini par quitter son poste, pour

    se consacrer entièrement à la petite association dont elle est aujourd’hui salariée. « Après les attentats

    de 2015, ceux qui travaillaient dans le monde de l’éducation se sont rendu compte qu’on ne pouvait plus

    continuer à ne rien faire », relève-t-elle, convaincue. Consécration, en 2015, cinq ans après sa création,

    Enquête a reçu l’agrément de l’éducation nationale, qui rend possible l’intervention de ses animateurs dans

    les écoles publiques.

    Priorité à la formation d’animateurs

    En six ans, Marine Quenin a vu des enfants évoluer. « Parvenir en fin d’année à faire visiter une synagogue

    à un enfant qui tenait auparavant des propos ouvertement antisémites montre qu’on a réussi à le faire bouger »

    ,sourit-elle. Mais, à l’heure où « la prise de conscience est collective » sur ces questions, Enquête est confrontée

    à ses limites. Avec ses moyens actuels, l’association touche 800 élèves alors qu’ils sont 100 000 par classe d’âge.

    La priorité est donc désormais la formation d’animateurs directement dans les centres sociaux. « Il faut qu’on

    travaille à être repris par d’autres », anticipe Marine Quenin.

    Jules, 10 ans, lève la main : « Pourquoi il y a marqué 1437 sur l’horloge derrière vous ? »,demande-t-il à l’imam,

    qui plisse les yeux et sourit.

    Il n’a pas l’habitude de répondre à ce genre d’interrogation concrète. Il détaille qu’il y a mille quatre cent trente-sept

    ans Mahomet quittait La Mecque pour Médine. « Alors, c’est l’année de naissance de l’islam », comprend Martin,

    même âge que Jules. Il réfléchit et ajoute : « L’islam ne commence pas au moment de la naissance de Jésus. »

    Il vient de saisir une différence fondamentale entre les deux religions.

    La troisième édition du Monde Festival se tient à Paris du 16 au 19 septembre 2016 sur le thème « Agir ».

    Retrouvez le programme du Monde Festival et envoyez-nous vos idées de portraits et d'initiatives à agir@lemonde.fr.

     
    « Au Brésil, l’ex-président Lula da Silva inculpé pour tentative d’entrave à la justice »
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