Les pattes des oiseaux : des échangeurs de chaleur à contre-courant   

Le système de l'échangeur de chaleur

 

Fonctionnement du système d’échange de chaleur à contre-courant dans les pattes des oiseaux aquatiques.
Schéma : Ornithomedia.com d’après l’Université de Floride

Les pattes des oiseaux sont richement irriguées et constituent de véritables échangeurs de chaleur à contre-courant : les flux sanguins dans les artères et les veines adjacentes qui les parcourent s’écoulent en effet dans des sens opposés. Les artères amènent dans les pattes du sang chaud venant centre du corps (cœur), et la chaleur est en partie évacuée grâce à l’absence de plumes. Le sang qui remonte via les veines adjacentes est donc relativement frais.
Grâce à cet échange, la chaleur excessive produite par le reste du corps est partiellement éliminée, ce qui est utile par temps chaud, mais aussi quand il fait froid car cela évite que les pattes ne gèlent quand elles sont en contact avec une surface glacée (lire Les adaptations des oiseaux pour supporter le froid). Lorsque les oiseaux prennent un bain par forte chaleur, l’eau refroidit le sang qui circule dans leurs pattes, ce qui diminue légèrement leur température générale quand il remonte vers le centre du corps (lire Fournir de l’eau aux oiseaux toute l’année).
On a mesuré la proportion de la production totale de la chaleur des hérons et des goélands qui était est dissipée dans de l’eau froide ou dans l’air ambiant entourant leurs pattes a été mesurée : aux basses températures ambiantes, moins de 10 % de la chaleur métabolique sont perdus au niveau des pattes, tandis qu’à des températures plus élevées, une part importante de la chaleur métabolique est dissipée via celles-ci. On estime qu’à 35 ° C, la quasi-totalité de la production de chaleur est évacuée par les pattes, et cela est encore plus rapide quand elles sont plongées dans l’eau. On a aussi noté que le halètement (ouverture du bec) cessait immédiatement lorsque les pattes étaient aspergées d’eau froide. Celles-ci servent donc de conduits très efficaces pour la thermorégulation.
Quand les oiseaux se baignent, ils immergent aussi leur ventre et secouent leurs ailes pour s’asperger d’eau, ce qui contribue aussi à refroidir leur corps par radiation et par convection.

L’urohydrose, un comportement étonnant

Cigogne blanche ayant pratiqué l'urohydrose

 

Cigogne blanche (Ciconia ciconia) ayant pratiqué l’urohydrose (voir la marque blanche sur l’une de ses pattes) en Espagne.
Photographie : Marc Fasol

Si l’eau et les courants d’air frais sont efficaces pour refroidir les oiseaux, il existe des situations où la chaleur est éprouvante et où il n’y a pas de possibilité de se baigner ou de se mettre au frais, par exemple quand une femelle couve ses œufs en plein soleil sur son nid. Pour diminuer leur température interne, ils peuvent alors ouvrir leur bec (halètement) et/ou étaler leurs ailes (le dos orienté vers le soleil pour essayer de créer de l’ombre vers l’avant), ou bien pratiquer l’urohydrose. Ce comportement étonnant et méconnu, qui ne concerne pas tous les oiseaux, consiste à déféquer des fientes sur les parties écailleuses et dénudées des pattes pour refroidir le sang qui y circule suite à l’évaporation de l’eau contenu dans leurs déjections. 
En effet, contrairement aux mammifères, les oiseaux éliminent tous les déchets en même temps car ils n’ont qu’une seule issue, le cloaque, pour leurs voies reproductrices, digestives et urinaires (lire Le système urinaire des oiseaux). L’urine et les matières fécales (souvent brun-verdâtre) sont donc expulsées du même endroit et au même moment, même si elles proviennent de deux voies différentes. L’urine, est riche en acide urique, d’où sa teinte blanchâtre : les oiseaux qui pratiquent l’urohydrose ont donc souvent les pattes colorées de blanc, ce qui peut gêner la lecture d’éventuelles bagues. Cette accumulation de fientes peut aussi provoquer des blessures, des infections ou des gonflements à cause de l’accumulation de matières fécales sur les bagues.
L’urohydrose est généralement suivie dès que possible par un bain.

Les espèces qui pratiquent l’urohydrose

Les deux principales familles qui pratiquent l’urohydrose sont les Ciconiidés (cigognes, tantales, jabirus, marabouts et becs-ouverts) et les Cathartidés, c’est-à-dire les vautours du Nouveau Monde (condors, urubus et sarcoramphe). Ces familles sont d’ailleurs assez étroitement apparentées.
Toutefois, d’autres espèces appartenant à d’autres familles utilisent aussi cette technique de refroidissement, mais leur nombre est certainement sous-estimé car ce comportement est peu étudié. Un jeune Fou du Cap (Morus capensis) soumis à des températures élevées en laboratoire avait ainsi réagi en dressant la tête, en ouvrant le bec, et entrouvrant les ailes vers le bec et en déféquant sur ses pattes. 

Une vidéo montrant des Tantales d’Amérique pratiquant l’urohydrose

Comme précisé plus haut, l’urohydrose est pratiquée par plusieurs espèces de la famille des Ciconiidés : c’est par exemple le cas du Tantale d’Amérique (Mycteria americana), une espèce qui se reproduit en Amérique centrale et du Sud et des Caraïbes. Il se reproduit aussi localement aux États-Unis (en Floride, en Géorgie et en Caroline du Nord et Sud). Dans la vidéo ci-dessous réalisée dans le Harris Neck National Wildlife Refuge et montrant une colonie active de Tantales d’Amérique en train de nidifier, on peut voir que plusieurs adultes ont uriné sur leurs pattes, des traces blanches étant visibles.

 

Vidéo d’une colonie de Tantales d’Amérique (Mycteria americana) dans le Harris Neck National Wildlife Refuge en Géorgie (États-Unis), dans laquelle on voit plusieurs adultes ayant pratiqué l’urohydrose.
Source : Karen Marts