Depuis des semaines à l’heure de la soupe, Angela Merkel arpente inlassablement le pays d’est en ouest, après avoir éteint les lumières de la chancellerie… Les 12,7 millions d’électeurs de trois Länder - Bade-Wurtemberg, Rhénanie-Palatinat et Saxe-Anhalt - sont appelés aux urnes dimanche pour renouveler leur Parlement régional, et Angela Merkel ne ménage pas sa peine, multipliant les soirées électorales auprès de candidats mis à mal par la crise des réfugiés. Ce soir-là, son avion l’a posée pour une petite heure à Fribourg-en-Brisgau, à l’extrême sud-ouest du pays, en face de Colmar. Toute la bonne bourgeoisie de cette cité médiévale cossue s’est donné rendez-vous dans la salle de concerts classiques de la ville, un cube de béton feutré où Angela Merkel tente de voler au secours de Guido Wolf. Tête de liste CDU (chrétien-démocrate) dans le Bade-Wurtemberg, Wolf, 54 ans, dépourvu de tout charisme, n’a quasiment aucune chance de ravir la direction du Land au très populaire vert Winfried Kretschmann (lire ci-contre). La question des réfugiés est de nouveau au cœur de la soirée.

«Doit-on jeter l’éponge parce que ça n’a pas encore marché ? On doit essayer, essayer encore et encore», martèle la chancelière, suivant le canevas de ses discours standard. La salle applaudit, conquise. Marietta Schmidt est enthousiaste. La soixantaine, cette adepte de la CDU voit en Angela Merkel «un roc au sein de l’Union européenne, la seule à avoir une vision pour sortir de cette crise». Mais il en faudrait plus pour faire passer Guido Wolf devant Winfried Kretschmann dans les sondages. Les Verts sont crédités de 32 % des intentions de vote, contre 28 % à la CDU.

Etoile montante

En Rhénanie-Palatinat, dans l’ouest du pays, un duel de femmes oppose Malu Dreyer, SPD (sociaux-démocrates) et ministre-présidente en titre, à Julia Klöckner, étoile montante de la CDU mais elle aussi mise à mal dans les sondages. Cette ambitieuse de 43 ans vient de passer derrière sa challenger. Elles sont désormais au coude-à-coude, autour de 35 % des intentions de vote. Seul le candidat CDU de Saxe-Anhalt, en ex-RDA, Reiner Haseloff, est assuré de conserver son poste à la tête du Land. Mais avec un Parlement presque ingérable, où extrême gauche (Die Linke) et extrême droite (le parti populiste AfD) engrangent à elles seules 40 % des intentions de vote.

Dans chacune des trois régions, l’AfD est crédité de plus de 10 % des intentions de vote. Dimanche dernier, ce petit parti créé par des anti-euros en 2013 a remporté 13 % des suffrages lors d’élections municipales en Hesse.

Pour la CDU, l’heure est grave. Le parti ne contrôle plus aucune des grandes villes du pays. Même la capitale de la finance, Francfort, est passée aux mains du SPD en 2012. Et sur les seize Länder que compte l’Allemagne, seuls cinq sont encore dirigés par un chrétien-démocrate. «Ces élections régionales sont très importantes pour Angela Merkel et sa coalition, car elles vont servir de test sur sa politique contestée avec les migrants», estime le politologue Jens Walther, de l’université de Düsseldorf. L’électorat est désorienté depuis que, le 5 septembre, la chancelière a ouvert la frontière aux réfugiés bloqués en Hongrie. A travers le pays, on rencontre désormais des électeurs du SPD ou de Die Linke adeptes d’Angela Merkel, et des électeurs CDU prêts à voter pour les Verts. Mais aussi quantité d’électeurs Verts, SPD ou CDU prêts à voter pour les populistes anti-réfugiés de l’AfD.

Un million de migrants sont arrivés l’an passé en République fédérale. La plupart sont des Syriens, ayant opté pour la route des Balkans, et arrivés à l’automne. Les Allemands les ont d’abord accueillis à bras ouverts. Mais depuis les incidents de Cologne - un millier de jeunes hommes, d’origine maghrébine pour la plupart, ont agressé des centaines de jeunes femmes dans la nuit de la Saint-Sylvestre aux abords de la gare -, les réticences et le scepticisme l’emportent.

Angela Merkel a adapté son discours. Officiellement, elle maintient le cap : pas de quotas, pas de fermeture des frontières, pas de plan B si la solution européenne avec la Turquie échoue. Dans les faits, la priorité est à la réduction du flux migratoire, avec l’aide de la Turquie. Un accord à Bruxelles, lundi dernier, aurait donné à la CDU un coup de pouce non négligeable… Il n’a pas été conclu. «L’objectif de l’Allemagne de décrocher un tel accord était clairement lié aux régionales», estime Jens Walther. La chancellerie, généralement prudente au lendemain des sommets, a parlé de «percée décisive» au sujet d’un accord espéré le 18 mars lors d’un prochain sommet européen. «Un tel accord sauverait peut-être la Grèce, mais pas forcément le Bade-Wurtemberg ou la Rhénanie-Palatinat», relativise le quotidien Tagesspiegel. Depuis l’automne, les électeurs de la démocratie chrétienne se perdent en conjectures : «Notre fille de pasteur a agi par charité, il faut la soutenir», est le discours le plus favorable. «Cette femme, qui fait glisser le parti toujours plus à gauche depuis des années, veut en fait "changer" l’Allemagne avec l’aide de masses d’étrangers pour en faire un autre pays», redoutent les plus sceptiques.

Logique de l’héritage

La politologue Andrea Römmele, de la Hertie School of Governance, à Berlin, a une autre explication : «Angela Merkel a trouvé son sujet. La réunification était le thème d’Helmut Kohl. Son thème à elle, c’est la crise des réfugiés. Il faut bien voir qu’elle a trois mandats derrière elle. Elle n’a pas absolument besoin d’un quatrième en 2017. Angela Merkel n’est plus dans la logique de la réélection. Elle est dans celle de l’héritage laissé à l’histoire.» La seule différence avec Helmut Kohl est que la réunification Est-Ouest des années 90 - but officiel de tout homme politique de l’Ouest - était un bouleversement voulu, difficile à contester.

Angela Merkel serait-elle menacée, à dix-huit mois des prochaines élections ? «Je ne le crois pas, corrige Andrea Römmele. Un échec de la CDU dimanche pourrait même asseoir son pouvoir au sein du parti.» Les candidats chrétiens-démocrates Julia Klöckner et Guido Wolf ont en effet commis un impair qui pourrait rapporter gros à la cheffe du parti : celui de s’allier, pour contester la ligne Merkel, en réclamant des quotas de réfugiés, dont elle ne veut pas entendre parler. «Il sera alors facile aux proches de Merkel de souligner qu’on se perd en déviant du cours imposé par la direction», poursuit la politologue. En clair, qui contesterait l’autorité de la chancelière le paierait cher dans les urnes. Angela Merkel n’a de toute façon aucun challenger de poids au sein de son propre parti.

Nathalie Versieux correspondante à Berlin