En soi, Dabiq n’est qu’un bourg de la plaine agricole du nord syrien, entre Alep et la frontière turque, sans intérêt particulier. La plupart de ses 4 000 habitants avaient fui en 2013 alors que les combats se propageaient. Ceux qui sont restés ont vu leur village pris par les jihadistes de l’Etat islamique (EI) en août 2014. Ils vont probablement assister dans les prochaines semaines, voire les prochains jours, au retour des rebelles. Plusieurs groupes modérés s’en approchent depuis la semaine dernière. Mardi, les combats contre l’EI avaient atteint les faubourgs de Ra’ïl. Dabiq est à moins de dix kilomètres.

Prophétie. La perte du village serait une défaite symbolique, bien plus que stratégique, pour l’EI. «Selon eux, c’est à Dabiq que doit avoir lieu à la fin des temps la bataille entre les Romains, c’est-à-dire les Occidentaux, et les musulmans», explique Romain Caillet, spécialiste des mouvements islamistes. Les jihadistes, qui se basent sur la prophétie d’un hadith (qui relate les propos de Mahomet), ont également choisi Dabiq comme titre pour leur principal magazine de propagande en anglais. C’est enfin dans ce village qu’une vidéo montrant la tête décapitée de Peter Kassig, un otage américain, avait été tournée. «Nous voilà en train d’enterrer le premier croisé américain à Dabiq. Et nous attendons avec impatience l’arrivée de vos autres soldats pour qu’ils soient égorgés et enterrés ici-même», déclarait alors Jihadi John, l’un des bourreaux de l’EI, tué depuis dans une frappe de drone.

Pour les rebelles, Dabiq n’est qu’un village à reconquérir parmi d’autres. Depuis la mi-février, ils ont repris une quinzaine de bourgades à l’EI dans une bande qui court entre Azaz, à l’ouest, Alep, au sud, et la frontière turque, au nord. Une dizaine de groupes, pour la plupart issus de l’Armée syrienne libre (ASL), participent à l’offensive, dont Faylaq al-Sham, Sultan Mourad, Fastaqim ou la brigade Hamza. Motasem, un groupe aidé par les Etats-Unis, est également présent. Les rebelles sont appuyés par des tirs d’artillerie de l’armée turque et des bombardements de la coalition. Leur objectif est de porter les combats jusqu’à Al Bab puis Manbij, les deux principaux fiefs de l’EI dans la région.

Gaz moutarde. Cette offensive se double d’une autre entre la Turquie et les forces kurdes des Unités de protection du peuple (YPG), le pendant syrien du PKK. Celles-ci tentent également d’avancer face à l’EI, plus à l’est. Elles sont positionnées au bord de l’Euphrate et voudraient progresser vers Jarablous, le dernier poste frontière avec la Turquie encore contrôlé par les jihadistes. Mais la coalition menée par les Etats-Unis leur a demandé d’attendre. Une avancée du YPG le long de la frontière provoquerait une réaction armée d’Ankara qui refuse de voir un territoire kurde unifié et autonome s’étendre à ses portes.

Les jihadistes n’ont jamais été autant menacés dans le nord de la Syrie depuis janvier 2014, lorsqu’une coalition rebelle les avait chassés de la ville d’Alep. Ils ne peuvent plus compter sur des renforts massifs de jihadistes étrangers, la frontière turque étant quasiment fermée. Ils doivent aussi faire face à une possible offensive de l’armée syrienne et de ses alliés iraniens et du Hezbollah libanais qui viennent de reprendre Palmyre et pourraient tenter d’avancer vers l’est et la frontière irakienne. Selon l’agence syrienne officielle Sana, les jihadistes ont tiré lundi des obus au gaz moutarde contre l’aéroport militaire de Deir el-Zor qu’ils tentent de prendre depuis plus d’un an. Assiégé, le régime ne contrôle plus que la moitié de la ville. L’EI a également lancé une riposte dans le sud de la Syrie où deux brigades qui lui sont alliées ont récemment gagné du terrain face aux rebelles de l’ASL à la frontière jordanienne.

Luc Mathieu