Sous le hall du palais des congrès de Marseille, ils sont un millier de cégétistes, depuis lundi, à prendre la parole à tour de rôle, à taper du poing sur la table de temps en temps, à s’applaudir, et parfois à pousser la chansonnette. Pourtant, de l’avis d’initiés, l’ambiance de ce 51e congrès de la CGT, qui se termine ce vendredi et doit fixer les orientations de la centrale, est «plutôt policée». Il y a certes des coups de sang autour de «l’affaire Lepaon», l’ex-secrétaire général contraint à la démission en 2015. Ou encore l’émergence, en pleine lutte contre la loi travail, d’une césure entre les défenseurs d’une ligne dure, plaidant pour la grève et reconductible, et une partie de l’assemblée, direction comprise, jouant la carte de la prudence. Mais jeudi, les cinq résolutions, traçant les grandes lignes de demain, mises au vote par le bureau du congrès, ont été adoptées par la majorité des délégués. Preuve que la confédération sortante, tout en mettant un coup de volant à gauche et en concédant des petits gestes aux plus contestataires, a su tenir ses troupes. Retour sur cinquante-cinq heures de débats.

Mardi, 8 h 30 Buvette et Rafale

Station Rond-Point-du-Prado, un homme sifflote le Chant des partisans. Rarement la ligne 2 du métro marseillais a connu autant d’autocollants aux couleurs du syndicat. A l’entrée du palais des congrès, sur les stands : de l’anchoïade, une maquette de Rafale, des logos de Dassault, Safran, EDF, ou encore une buvette. Plus loin, dans le grand hall où se déroulent les débats, l’heure est à l’analyse du rapport d’activité des trois dernières années. A la tribune, Nathalie Verdeil, de la commission exécutive confédérale, évoque le contexte «marqué par les inégalités sociales», mais aussi les «dysfonctionnements sur les prises de décisions» qu’a connus la CGT sur la période. L’ambiance est studieuse. Quelques invités sont annoncés et applaudis, dont Cécile Gondard Lalanne (Solidaires) et William Martinet (Unef). La veille, les représentants socialistes avaient, eux, été accueillis sous les huées, scellant la rupture entre la CGT et le PS.

10 heures Place aux débats

Les délégués ont quatre minutes pour se faire entendre. La plupart finissent leur intervention par un «vive la CGT». Rapidement, la crise Lepaon arrive sur la table. «Elle a fait beaucoup de mal au niveau des élections, avec une perte de 4 % d’audience au ministère de l’Intérieur», note un délégué. La colère de certains reste entière, même si, pour un militant, il faut «passer à autre chose, sans nier ce qui s’est passé». Une autre question monopolise le temps de parole : celle de la stratégie du syndicat. La veille, le discours de Philippe Martinez, le secrétaire général de la CGT - au cours duquel il a appelé à «évoquer partout toutes les formes de lutte, y compris la grève reconductible» -, en a convaincu certains. Comme Christine Boulier, de Seine-Maritime, qui souligne la «réactivité» du syndicat. D’autres militants réclament en revanche qu’une «impulsion» plus ferme soit formulée par la direction. L’un d’euxveut même «bloquer l’économie, les autoroutes, les banques». Sans quoi, explique-t-il, il y aura «un remake de 2010 et les grévistes vont juste perdre du salaire, sans résultat». Pour beaucoup, la mobilisation contre la réforme des retraites, qui n’a pas réussi à faire plier le précédent gouvernement il y a six ans, a laissé un goût amer. D’où l’appel de plusieurs fédérations, «commerce» et «services publics» en tête, à serrer les rangs dès le 28 avril, date de la prochaine manifestation contre la loi travail. D’autres, comme les cheminots, traînent des pieds, craignant qu’il soit difficile de mobiliser les travailleurs. Le risque : que la mobilisation tourne au fiasco. «Il faut faire connaître la CGT autrement que par les manifestations, même si elles sont légitimes», résume un cheminot, favorable à un «syndicalisme de proximité».

11 heures La pause clope

Des syndicalistes de Moselle grillent une cigarette. Eux trouvent la CGT assez offensive contre le projet de loi travail. Ils s’interrogent sur la «lutte des classes», remise au goût du jour la veille par Martinez, qui a évoqué un «syndicalisme de classe et de masse». De quoi plaire aux plus «rouges». Pour Sébastien Hesse, de la fédération «équipement-environnement», le terme est toujours d’actualité, même s’il faut le «réactualiser», en mettant en avant «les propositions modernes du syndicat, comme les 32 heures ou le nouveau statut du travail salarié», et en assumant l’idée de «syndicalisme de service». Un terme qui ne plaît pas à tout le monde ici. Un peu plus loin, un homme ne croit plus à la «lutte des classes». Il préfère parler de «lutte de base» et craint que la CGT ne «devienne un parti politique».

12 heures Vote sur le bilan

L’adoption du rapport d’activité s’accompagne de quelques frictions. Une vingtaine de délégués inscrits au tour de parole n’ont pas pu parler, faute de temps. C’est l’heure du vote, puis «de l’apéro», coupe-t-on court à la tribune. Dans l’assistance, et notamment du côté de la fédération «commerce», les coups de poing fusent sur les tables. «On voulait raconter comment nous nous sommes battus contre le travail du dimanche et dire aussi que l’organisation n’avait pas été assez impliquée pour lutter contre les lois Rebsamen et Macron», explique Karl Ghazi, de la CGT «commerce» de Paris. Finalement, les «pour» l’emportent à 68,7 %, un taux bas de mémoire de cégétistes.

15 heures Boycott des Goodyear

Les anciens salariés du fabricant de pneumatiques ne prennent finalement pas la parole, comme ils l’avaient annoncé. Et pour cause : ils ne sont pas venus. Dans un communiqué deux jours avant le lancement du congrès marseillais, ils expliquaient vouloir se faire entendre pour appeler, notamment, à «une manifestation d’une ampleur sans précédent». Mardi matin, le président du congrès a tranché : pas question de modifier l’ordre du jour. Résultat : les syndicalistes d’Amiens ne sont pas venus. Une déception pour ceux qui voient dans les Goodyear le symbole d’une CGT offensive.

19 heures «Cadence infernale»

Après un «tous ensemble, tous ensemble, ouais, ouais !» scandé par la foule, on annonce le programme de la «soirée culturelle» et on quitte les lieux. A la sortie, un syndicaliste grogne contre la «cadence infernale» du congrès. On est loin, il est vrai, des 32 heures hebdomadaires plébiscitées par la CGT.

Mercredi, 10 heures L’avenir

L’heure est à l’analyse du document d’orientation. Satisfaisant pour les uns, il est jugé «aseptisé», «insuffisamment offensif» pour les autres. Entre les deux camps, les divergences se creusent. Pour autant, «on est une seule CGT, c’est la richesse de nos débats», note une militante.

16 heures Grève générale ?

Elle était très attendue : la nouvelle «impulsion» demandée par de nombreux délégués prend enfin forme dans un appel. Distribué aux militants, il invite à «organiser dans toutes les entreprises et les établissements des réunions d’information, des rencontres afin de s’opposer encore plus fort» au projet de loi travail. Le but de ces réunions, «amplifier la riposte, dès le 28 avril, par la grève interprofessionnelle et les manifestations», et permettre aux salariés de décider de «la grève et sa reconduction». Dans l’assistance, c’est la cohue. Une militante de la fédération «santé» évoque un «appel fort», puisque «les éléments majeurs y sont». Un autre pense qu’«on peut rendre ce document encore plus percutant sur plusieurs points». L’appel est adopté à mains levées.

17 heures Et l’union syndicale ?

Changement de thématique : on cause désormais du rapport avec les autres centrales. Le «syndicalisme rassemblé», mis en avant dans le document d’orientation proposé, ne passe pas pour certains. Une militante explique ne pas vouloir travailler avec une «organisation qui collabore et qui corédige la loi travail». Comprendre : la CFDT. Mais un cheminot rappelle qu’il s’agit d’une «aspiration forte des salariés et un élément du rapport de force. Il faut montrer que nous sommes ouverts sur le monde». Une nouvelle ligne de division se dessine, mais là aussi, la résolution est tout de même validée, à 63,7 %. Le document d’orientation a été adopté, lui, à 70 %, contre 85 % au dernier congrès.

Jeudi, 16 heures Vote sur la direction

Place à des points plus techniques visant à modifier les statuts du syndicat. Puis le moment devient plus solennel, lors de la présentation des candidats à la commission exécutive confédérale (direction élargie). La liste fait débat, la fédération de la «santé» regrette de ne pas avoir de représentant. On y trouve les noms d’Eric Aubin, Sophie Binet ou encore Mohammed Oussedik, des têtes connues. Et bien sûr, Philippe Martinez. La liste est validée dans la soirée, mais le score ne devrait être connu que ce vendredi.

Amandine Cailhol Envoyée spéciale à Marseille