Cette fois, le piège s’est bien refermé sur la moitié d’Alep tenue par l’opposition syrienne et ses 300 000 habitants. Les forces pro-régime Al-Assad encerclent totalement les quartiers rebelles et les bombardent. Un désastre humanitaire se profile. Depuis des mois, l’opposition syrienne alerte sur le risque d’étranglement. Et pendant des semaines, les insurgés se sont acharnés dans un combat inégal pour tenter de conjurer l’inéluctable.

Mais dimanche, pendant que les regards du monde étaient braqués ailleurs, la dernière artère qui alimentait la partie Est d’Alep s’est bouchée. La route du Castello est passée sous le contrôle complet des forces pro-gouvernement syrien. Depuis 2013, ce passage hasardeux qui traverse des champs de pistachiers était le dernier que pouvaient emprunter hommes et marchandises pour entrer ou sortir des quartiers rebelles, notamment vers la Turquie.

Raids russes. «Le verrouillage est maintenant total», s’alarme le docteur Abdessalam Dayif, chirurgien ORL appartenant à l’Organisation des médecins libres d’Alep. Bloqué désormais au sud de la Turquie, ce médecin chargé de la coordination de l’aide médicale pour Alep faisait des va-et-vient réguliers en traversant la frontière. «On savait que ce jour viendrait. On a anticipé la fermeture de cet axe routier en faisant passer ces derniers mois des stocks de matériel pour les hôpitaux. Mais aujourd’hui, j’ai le sentiment qu’on préparait les gens à une mort lente en leur laissant un espoir de vie», dit-il. Allant jusqu’à redouter que l’étau qui se resserre sur Alep se révèle «plus dur que des bombardements qui tuent à n’importe quel moment». En attendant que les effets de l’encerclement se fassent sentir, des tapis de bombes s’abattent sur la ville. Les hélicoptères larguent des barils d’explosifs dévastateurs alternant avec les raids des chasseurs russes qui accompagnent les tirs de l’artillerie.

«Désolé, je n’arrive pas à vous entendre. Les avions ne quittent pas le ciel et les projectiles tombent tout autour de moi», nous crie au téléphone Bebars Mechaal, directeur de la défense civile dans le secteur de Bab al-Nerab, au cœur de la vieille ville d’Alep. Ce chef d’une équipe de secouristes sera contraint d’envoyer ensuite des SMS à Libération pour expliquer que son équipe a dû évacuer une dizaine de blessés coincés sous les décombres d’un immeuble. «Je ne sais pas comment l’encerclement peut aggraver davantage notre situation», dit le message du casque blanc. Et un second d’ajouter : «Nous comptons une vingtaine de morts par jour depuis des mois.»

La stratégie de l’encerclement devient payante pour le régime de Bachar al-Assad, dont les forces sont à bout de souffle. Le soutien massif de ses alliés russes par les airs et iraniens sur le sol lui a permis de prendre l’avantage ces derniers jours à Alep et ailleurs, comme à Daraya, autour de Damas, localité encerclée depuis trois ans. Selon l’ONU, près de 600 000 personnes vivent dans des zones assiégées en Syrie, dans la plupart des cas par le régime… Et qui n’ont pas accès à la nourriture ni même à une aide médicale.

Capitale économique. Si les quartiers Est d’Alep ne sont pas encore définis comme «assiégés» par l’ONU, cette dernière s’est déclarée «très inquiète de l’escalade de la violence» qui «met en danger des centaines de milliers de personnes». Elle a appelé cette semaine «toutes les parties à autoriser la livraison de l’aide humanitaire» et «l’évacuation des civils qui le désirent». Mais les habitants des quartiers rebelles ressentaient déjà les effets du siège - pénuries, flambée des prix, fermeture des boulangeries faute de farine et de mazout - avant même la prise de contrôle de la route du Castello ce dimanche. Des stocks ont été accumulés depuis des mois par les organismes civils et militaires qui gèrent les quartiers d’Alep. Mais les bombardements compliquent l’accès aux sous-sols où sont entreposées ces réserves.

L’encerclement d’Alep, capitale économique du pays, marque une étape dans la guerre syrienne aux rebondissements intérieurs dramatiques et aux répercussions régionales et internationales multiples. Pendant que le piège se refermait sur les habitants d’Alep, les chefs de la diplomatie américaine et russe, John Kerry et Sergueï Lavrov, se sont accordés vendredi pour coordonner leurs attaques contre les mouvements terroristes en Syrie : l’Etat islamique et le Front al-Nusra. Les conséquences sur les civils en Syrie et sur les actions terroristes ailleurs ne figurent pas dans cet accord. Oublié aussi le temps où une entente entre les deux grandes puissances, en mai, a permis d’instaurer une trêve réparatrice pour la population d’Alep. A l’époque, un processus de négociation avait été engagé à Genève. Il est aujourd’hui gelé… pendant que le terrain flambe.

Hala Kodmani