Philippe Martinez, le numéro un de la CGT, voulait «une grosse mobilisation» pour cette quatorzième manifestation contre la loi Travail, depuis mars. Mais la pluie, la longue pause estivale et un brin de désappointement face à un texte définitivement adopté en juillet – et dont le premier décret est paru le 9 septembre –, en auront voulu autrement. Ce jeudi, ils étaient entre 12 500 et 13 500 personnes selon la police, 40 000 personnes selon la CGT, à battre le pavé à Paris. Une participation en hausse par rapport à la précédente journée du 5 juillet (qui avait regroupé entre 6 500 et 7 500 participants, selon la police), mais qui reste modeste.

Une page qui se tourne? C’est probable, puisque contrairement aux fois précédentes, aucune intersyndicale n’est programmée pour décider de la suite du mouvement. «Il y a peut-être une date dans les tuyaux… On va poursuivre les échanges, mais il est sûr qu’on ne sera plus sur le cycle précédent, avec une manifestation par semaine. Après, il peut y avoir des manifestations occasionnelles», assure toutefois Fabrice Angeï, membre du bureau confédéral de la CGT, qui refuse en bloc l’idée de «baroud d’honneur». Preuve en est, la bagarre juridique dans laquelle veulent désormais se lancer les membres de l’intersyndicale. Une bataille qui s’annonce de longue haleine, face à un gouvernement qui, lui, entend bien enclencher le second volet de sa réforme du code du travail.

Des syndicats prêts à engager la bataille juridique

Fini les banderoles et les slogans. Place donc à la bataille dans les tribunaux. «Les services juridiques travaillent d’arrache-pied pour trouver des axes de recours», prévenait, il y a quelques jours, Jean-Claude Mailly, le secrétaire général de FO. Parmi les pistes étudiées: le dépôt de questions prioritaires de constitutionnalité (QPC), qui doit être porté par un justiciable. Pour appuyer la démarche, la CGT Goodyear a diffusé un argumentaire visant à «faire annuler, dans le cadre des QPC, les dispositions de la loi travail qui sont contraires à la Constitution». Selon ce dernier, la loi travail, qui prévoit «une définition de la cause économique réelle et sérieuse qui varie notamment en fonction des effectifs de l’entreprise institue une différence de traitement qui méconnaît le principe d’égalité devant la loi».

Mais, selon le professeur de droit (Paris-Ouest-Nanterre), Emmanuel Dockès, cette démarche pourrait avoir du mal à porter ses fruits: «Le Conseil constitutionnel, en charge de ces QPC, a plutôt l’habitude de trancher de manière politique et non juridique. Donc, même si les arguments sont recevables, ils risquent toutefois de ne pas être retenus.» Pour le juriste, les opposants à la loi travail ont donc plus de chance de gagner en pointant le non-respect des traités internationaux devant la Cour de cassation. «La Convention 158 de l’Organisation internationale du travail prévoit que les licenciements économiques doivent être justifiés et faire l’objet d’un contrôle par le juge. Or, parce qu’elle a mis en place des justifications automatiques, la loi travail va à l’encontre de cette convention», explique Dockès. De quoi, selon lui, invalider ou du moins vider de leur substance une partie des articles de la loi travail. D’autant que, note-t-il, cette argumentation est proche de celle qui avait fait tomber, en 2008, le Contrat nouvelle embauche (CNE).

Pas de quoi, toutefois, ébranler Myriam El Khomri, la ministre du Travail, qui affiche une «sérénité authentique», selon les mots d’un proche. Et d’ajouter: «Le texte a été soumis au Conseil d’Etat, il y a eu un double examen de constitutionnalité et de conventionnalité et il n’y a pas eu de débats. De plus, lors de la rédaction du texte, nous avons eu des échanges informels avec les services de l’OIT pour s’assurer qu’il était bien conforme.»

Un gouvernement pressé de passer à autre chose

Pour le gouvernement, l’objectif est donc désormais clair: il faut passer à autre chose. La semaine dernière, une mise à jour de l’échéancier de publication des 127 décrets de la loi travail a été publiée. Tous devraient paraître entre septembre et janvier. Dont 80% avant la fin de l’année. Quant aux très décriés décrets sur le référendum d’entreprise à l’initiative de syndicats représentant entre 30% et 50% des salariés ou encore ceux sur les accords offensifs, qui permettront aux entreprises d’ajuster leur organisation pour «préserver ou développer l’emploi», ils seront publiés dès le mois d’octobre. De quoi calmer les ardeurs de la rue…

Autre signe de fermeté: lors des dernières concertations entre Myriam El Khomri et les partenaires sociaux, la semaine dernière, la loi travail était quasi absente de l’ordre du jour. Un changement de priorité qui a du mal à passer du côté syndical. «Ils veulent tourner la page, en affichant des mesures aux contours très flous. On est dans du creux», s’agace Angeï, de la CGT. Mais le gouvernement le sait, l’agenda joue en sa faveur, puisque dans les prochains jours, les syndicats vont être mobilisés à un tout autre dossier: les élections professionnelles dans les TPE, prévues fin novembre. L’enjeu est de taille car le résultat servira de calcul à leur représentativité syndicale. «C’est la fin de la lune de miel entre Martinez et Mailly, s’amuse un proche du gouvernement. Désormais la CGT et FO vont partir faire campagne chacun de leur côté.»

Un dossier loin d’être terminé

Reste que le gouvernement n’en aura pas fini pour autant avec ce chantier. Car, la loi travail – qui s’est cantonnée à refondre la partie du code du travail portant sur les questions de temps de travail –, n’est qu’une étape de la réforme du code du travail annoncée par le gouvernement, en 2015. Et qui prévoit de passer tout le droit du travail à la moulinette de la «simplification». Une mission confiée à «une commission d’experts et de praticiens des relations sociales». Son but? «Proposer au gouvernement une refondation de la partie législative du code du travail», peut-on lire dans l’article 1er de la loi travail.

Pour l’heure, les contours de cette commission restent assez flous. Tout juste sait-on qu’elle comprendra un nombre égal de femmes et d’hommes et qu’elle associera à ses travaux les organisations professionnelles d’employeurs et les organisations syndicales de salariés représentatives, par le biais du Haut Conseil du dialogue social (présidé par le conseiller d’Etat Jean-Denis Combrexelle). Rien en revanche sur le calendrier ni sur la méthode de travail. «On est encore en train de travailler sur le sujet. On a des idées, mais on n’est pas encore au terme de notre réflexion», botte en touche une source du ministère du Travail. «Ils ne savent pas comment faire, analyse, de son côté, Angeï de la CGT. Les travaux doivent être rendus dans les deux ans. Or, entre-temps, on a une échéance électorale. Le calendrier n’est pas réaliste…»

Pas de doutes en revanche sur la mission, déjà bien bordée, de cette commission: «Attribue[r] une place centrale à la négociation collective, en élargissant ses domaines de compétence et son champ d’action.» Et étendre, ainsi, la nouvelle architecture de la loi travail – celle de l’inversion de la hiérarchie des normes – au reste du livre rouge. Ce qui ne devrait pas manquer de braquer, encore plus, syndicats et militants anti loi travail. Un risque difficile à prendre à quelques mois de l’élection présidentielle.

Amandine Cailhol