Vous indiquez que le dérèglement politique actuel vous conduit à soutenir les actions de la CGT ?
Les gens pensent que je suis super à gauche, ce qui est faux, parce que j'ai été membre du parti communiste pendant deux ans lorsque j'étais gamin. Mais j'ai eu, par la suite, une solide carrière anticommuniste, en prédisant l'effondrement de l'Union soviétique, en écrivant "La chute finale" ou en associant le communisme à une variante de la schizophrénie dans "le fou et le prolétaire". Mon travail sur les systèmes familiaux ramenait le communisme à la préexistence d'un système familial autoritaire et égalitaire.
Je suis un anti-communiste radical. Donc, si je dis du bien de la CGT, cela ne doit pas être mal compris. C'est la CGT dans sa fonction actuelle de force, nouvelle et inattendue, qui, par effet de vide et de positionnement aléatoire, se trouve défendre la démocratie libérale en France.
Nous devons deux choses à la CGT. D'une, plus personne ne nous parle de l'Islam. C'est le transfert du mot radical de l'islamisme vers le militantisme ouvrier. Tous ceux qui croyaient qu'on pouvait faire n'importe quoi en désignant un bouc émissaire sont tout d'un coup, par volatilité, passés au radicalisme de la lutte des classes. La CGT a fait sortir la France de ce tunnel ethnicisant dans lequel le drame des attentats l'avait mise.
Vous faites référence à l'emploi du mot "terrorisme" employé par Pierre Gattaz lors de son interview au journal Le Monde ?
Les socialistes ou Pierre Gattaz, c'est pareil. Je commence à avoir la nostalgie de Laurence Parisot, que l'on n'imagine pas sombrer dans cette ineptie. Mais le tunnel ethnique emmenait la France beaucoup plus surement vers les problèmes que l'affrontement actuel sur le code du travail. La deuxième chose est que la CGT et l'hostilité de la population face à la loi El khomri ont mis le Front national totalement en porte à faux. Depuis le début de cette crise, le FN vasouille. Si le parti socialiste pense que ses électeurs doivent lui obéir, alors on comprend leur concept de pédagogie ; c'est la stratégie du maître qui doit faire comprendre aux enfants, par l'obéissance. Le même problème de crise de représentation se pose à propos du FN. Parce que les cadres du parti sont des gens d'extrême droite, et on l'a senti au moment de la crise. Ils voulaient de l'ordre. Face à un évènement réel, les cadres du FN sont justes des gens très à droite, et ils se foutent de leurs électeurs ouvriers. Le PS méprise son électorat, mais le FN aussi. Même si Florian Philippot a fait du rétropédalage, il était déjà trop tard.
La menace que fait peser le parti socialiste à la démocratie se voit à travers son attitude face à la liberté d'expression. J'ai vraiment été touché face à la purge à l'Obs, et au licenciement d'Aude Lancelin. Non pas parce qu'elle me permettait de m'exprimer, avec d'autres, parce que je suis un enfant de l'Obs, mais j'ai vu la mise au pas de ce journal par le pouvoir socialiste. J'ai vu, presque en même temps, la suppression de l'émission de Fréderic Taddeï, "Ce soir ou jamais". Ils osent faire des choses que Nicolas Sarkozy n'aurait pas osé faire. J'ai dit des choses cent fois pires sur Nicolas Sarkozy que sur François Hollande, et je n'ai jamais eu aucun problème. Le PS est probablement plus dangereux pour la liberté d'expression que la droite. Ce n'est pas l'intolérance des gens d'extrême gauche, qui n'en auraient pas les moyens. Les socialistes sont beaucoup plus intolérants, en fait, que les gens de droite. Ce n'est pas un hasard. Si je fais la somme de ce que les socialistes ont fait, en termes de contrôle de la presse, d'inversion des valeurs de la gauche sans tenir compte de leur électorat, le bon concept est un concept violent et doux à la fois ; il s'agit du fascisme rose, le mot rose évoquant la douceur du processus.
Dans un tel climat, comment percevez-vous l'approche libérale qui se profile au travers des programmes avancés par les candidats à la primaire de la droite et du centre ?
J'ai senti une crise d'identité de la droite en voyant ses candidats perturbés par le fait que les socialistes n'avaient pas été élus pour faire ça. La droite est en pilotage automatique lorsqu'il s'agit de critiquer la CGT, ce sont des gens de droite et complètement estimables en tant que tels. Mais on sent que ce que fait le PS est un problème pour eux, cela devrait donc être également un problème pour les chercheurs.
Je peux très facilement faire un numéro sur le thème de François Hollande est "méchant" ou "débile" mais ce n'est pas le problème. Le problème est de savoir pourquoi le PS fait une politique tellement à droite, et surtout sur les implications du détraquage du système politique que cela induit. Cela passe, comme je l'ai déjà dit, par le mot "radicalisation". Il y a quelques mois, nous avions le radicalisme islamique. On le dénonçait et on le combattait. Mais aujourd'hui, selon les socialistes, tout est radicalisé. Tout le monde est en train de prendre conscience du fait que le parti socialiste, pour des raisons mystérieuses, se comporte comme un parti de droite. Mais cela produit une dérive générale de tout le système politique. Cela pose un problème existentiel d'autodéfinition à la droite classique. Tous les candidats de la droite classique font de la surenchère libérale. C'est un effet du glissement à droite du PS. La question est pourquoi ?
Quand on voit la gauche allemande, elle a fusionné avec la droite au gouvernement, la question est donc réglée. En ce qui concerne les Etats Unis, il y a le phénomène Bernie Sanders, mais il ne va pas gagner la primaire. Mais les thématiques de gauche, comme le protectionnisme et les inégalités vont être représentées à droite par le parti républicain, par Donald Trump. Avec une dose d'usage de xénophobie. En Angleterre, tout le débat sur le Brexit se passe à droite, la gauche ne participe pas au débat.
L'anomalie du système politique français est que les zones d'implantations territoriales de la droite, le bassin parisien, ou la façade méditerranéenne, sont les vieilles zones égalitaires qui ont fait la révolution française. A l'inverse, les zones d'implantation du PS sont les vieilles zones catholiques hiérarchiques, qui pensent que le pouvoir vient d'en haut. Le PS est un parti d'un genre nouveau, organisé comme l'église catholique ancienne. Avec des électeurs qui votent, des députés qui se foutent de ce que votent les électeurs, où les cadres supérieurs du PS se foutent de savoir ce que pensent les députés, et le Président et ceux qui l'entourent se foutent de ce que pense le reste du PS. Il y a, en France, une sorte de détraquage général qui fait que la droite, d'après son implantation territoriale, devrait passer à la gauche du PS. Il y a une erreur de positionnement. L'ensemble des paramètres sont extrêmement volatils. Il y a un an, nous étions dans le terrorisme islamiste et on célébrait l'union nationale, un an après, on est dans la lutte des classes et "les jeunes caillassent les flics". Il doit y avoir un sens aux choses, mais il faut avant tout constater cette volatilité.
Vous faites référence à l'électorat de droite. Comment comprenez-vous le fait que Nicolas Sarkozy attire un électorat jeune et plutôt de catégories CSP -, alors que les autres candidats, comme Alain Juppé, François Fillon ou Bruno Le Maire monopolisent les suffrages des CSP + ainsi que des plus de 65 ans ?
Cela me gêne de le dire, car j'ai donné des preuves de mon hostilité à Nicolas Sarkozy, mais cela suggère qu'il est plus proche du positionnement anthropologique réel de la droite. Enfin, d'une partie de la droite. La droite est tiraillée entre ce positionnement qui est plutôt indiqué par la géographie des valeurs dans le pays et qui tire la droite à gauche, et le vieillissement du pays, qui tire la droite à droite.
Mais cela veut dire que le système de représentation français est confronté au problème de l'agrégation des volontés électorales. La droite commence à avoir des difficultés à agréger son électorat. Entre une tendance jeune populiste et une tendance -vieux conservateur libéral-.
La faiblesse démographique allemande a été un moteur de la décision d'Angela Merkel favorisant l'arrivée massive de migrants dans le pays. Le Brexit est alimenté par la crainte des Britanniques de voir toujours plus de migrants intra-européens arriver dans le pays. Les tendances démographiques sont-elles en train de se venger de l'Union européenne ?
L'Union européenne était un projet fou, tous les démographes savent bien que les sociétés ne sont pas en convergence. Il suffit de regarder les indicateurs de fécondité. Et quand il y a convergence, c'est vers le bas, vers une insuffisance, en dehors des îlots que sont la France, l'Angleterre, et la Scandinavie. Là ou les femmes ont le droit de faire des enfants et d'avoir un travail intéressant.
La démographie dit d'abord que les nations européennes existent toujours, et que l'unification par la monnaie ne va pas marcher. Ce n'est même pas la peine d'aller plus loin, c'est pour cela que j'avais prédit l'échec de l'euro. C'est donc bien la revanche de la démographie. Les variables démographiques ont la particularité d'être lentes mais irréversibles avec des phénomènes d'accélération quand les ruptures générationnelles se font. C'est très lent avant d'apparaître, mais, en général, quand cela apparaît, c'est trop tard, les problèmes sont d'une telle massivité qu'aucun phénomène migratoire ne va pouvoir les résoudre. En France, on ne le voit pas, parce que le pays n'a pas de problème démographique. L'Allemagne, malgré sa rationalité, est tombée dans le piège du court-termisme économique. Elle est le vrai pays d'immigration en Europe, obsédée par son problème de main d'œuvre. Les destructions opérées par l'austérité dans l'Europe du sud, sont, de ce point de vue-là, fonctionnelles pour l'Allemagne, qui cherche à récupérer la main d'œuvre qualifiée des économies en décomposition. En Allemagne, il manque pratiquement un tiers d'enfants chaque année. Mais là, avec cette immigration massive en provenance de Syrie, d'Irak, et d'Afghanistan, de systèmes patrilinéaires avec des niveaux élevés d'endogamie de départ, cela ne sera pas gérable pour l'Allemagne. Cela va produire des phénomènes de ségrégation, de stratification, de violence. Mais il ne faut pas sous-estimer le pragmatisme allemand. La société allemande pourra s'organiser mais le prix à payer sera l'émergence d'une société de castes, avec un système politique et policier extrêmement dur. Tout est possible.
Vous faites référence à l'électorat de droite. Comment comprenez-vous le fait que Nicolas Sarkozy attire un électorat jeune et plutôt de catégories CSP -, alors que les autres candidats, comme Alain Juppé, François Fillon ou Bruno Le Maire monopolisent les suffrages des CSP + ainsi que des plus de 65 ans ?
Cela me gêne de le dire, car j'ai donné des preuves de mon hostilité à Nicolas Sarkozy, mais cela suggère qu'il est plus proche du positionnement anthropologique réel de la droite. Enfin, d'une partie de la droite. La droite est tiraillée entre ce positionnement qui est plutôt indiqué par la géographie des valeurs dans le pays et qui tire la droite à gauche, et le vieillissement du pays, qui tire la droite à droite.
Mais cela veut dire que le système de représentation français est confronté au problème de l'agrégation des volontés électorales. La droite commence à avoir des difficultés à agréger son électorat. Entre une tendance jeune populiste et une tendance -vieux conservateur libéral-.
La faiblesse démographique allemande a été un moteur de la décision d'Angela Merkel favorisant l'arrivée massive de migrants dans le pays. Le Brexit est alimenté par la crainte des Britanniques de voir toujours plus de migrants intra-européens arriver dans le pays. Les tendances démographiques sont-elles en train de se venger de l'Union européenne ?
L'Union européenne était un projet fou, tous les démographes savent bien que les sociétés ne sont pas en convergence. Il suffit de regarder les indicateurs de fécondité. Et quand il y a convergence, c'est vers le bas, vers une insuffisance, en dehors des îlots que sont la France, l'Angleterre, et la Scandinavie. Là ou les femmes ont le droit de faire des enfants et d'avoir un travail intéressant.
La démographie dit d'abord que les nations européennes existent toujours, et que l'unification par la monnaie ne va pas marcher. Ce n'est même pas la peine d'aller plus loin, c'est pour cela que j'avais prédit l'échec de l'euro. C'est donc bien la revanche de la démographie. Les variables démographiques ont la particularité d'être lentes mais irréversibles avec des phénomènes d'accélération quand les ruptures générationnelles se font. C'est très lent avant d'apparaître, mais, en général, quand cela apparaît, c'est trop tard, les problèmes sont d'une telle massivité qu'aucun phénomène migratoire ne va pouvoir les résoudre. En France, on ne le voit pas, parce que le pays n'a pas de problème démographique. L'Allemagne, malgré sa rationalité, est tombée dans le piège du court-termisme économique. Elle est le vrai pays d'immigration en Europe, obsédée par son problème de main d'œuvre. Les destructions opérées par l'austérité dans l'Europe du sud, sont, de ce point de vue-là, fonctionnelles pour l'Allemagne, qui cherche à récupérer la main d'œuvre qualifiée des économies en décomposition. En Allemagne, il manque pratiquement un tiers d'enfants chaque année. Mais là, avec cette immigration massive en provenance de Syrie, d'Irak, et d'Afghanistan, de systèmes patrilinéaires avec des niveaux élevés d'endogamie de départ, cela ne sera pas gérable pour l'Allemagne. Cela va produire des phénomènes de ségrégation, de stratification, de violence. Mais il ne faut pas sous-estimer le pragmatisme allemand. La société allemande pourra s'organiser mais le prix à payer sera l'émergence d'une société de castes, avec un système politique et policier extrêmement dur. Tout est possible.