Construire un camp humanitaire dont Paris serait fier… Anne Hidalgo, maire (PS) de la capitale, devait détailler, mardi 6 septembre, comment elle comptait réaliser ce pari lancé le 31 mai. Objectif : ne plus voir des centaines de migrants camper dans les rues de sa ville, et des scènes répétées de campements démantelés dans le nord de Paris. A l’époque, les milieux de l’hébergement d’urgence et de l’accueil des migrants s’étaient montrés incrédules, échaudés par les alignements de conteneurs blancs du camp de Calais, ou ailleurs, les tentes du Haut-Commissariat aux réfugiés.
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A un mois de son ouverture, prévue pour fin septembre ou début octobre, le camp humanitaire de Paris s’annonce pourtant comme un lieu innovant et modulable. Il verra le jour dans un ancien entrepot de la SNCF au 70, boulevard Ney, dans le 18e arrondissement de Paris. Son installation coûtera 5,2 millions d’euros à la Ville de Paris et 1,33 million à l’Etat.
Pour répondre aux contraintes imposées par le lieu, pour coller au plus près au cahier des charges de la Mairie et aux besoins spécifiques de ce public, Julien Beller, l’architecte retenu, a prévu un agencement en deux parties. « Le lieu sera organisé autour d’une bulle gonflable en PVC tissé, en guise de lieu d’accueil, et d’îlots de conteneurs maritimes organisés en quartiers de différentes couleurs, posés sur les deux étages d’une halle de béton préexistante », décrit-il. C’est dans ces conteneurs que dormiront les hommes ne voyageant pas en famille.
Emmaüs Solidarité sera l’opérateur de ce lieu qui accueillera quatre cents personnes à son ouverture, mais dont la capacité d’accueil pourra monter à six cents places. L’association est aux côtés des exilés dans les rues de la capitale depuis des années. Elle a été choisie pour son savoir-faire et sa capacité à innover. « Puisqu’il n’existait pas vraiment de modèle de camp satisfaisant à nos yeux, explique Aurélie El Hassak-Marzorati, la directrice générale adjointe, nous avons listé tout ce que nous refusions et sommes partis de là. »
« Temps de repos »
Pas d’alignement de conteneurs, donc. Mais « la création de vrais lieux de vie, avec une Wi-Fi disponible dans les espaces de restauration », indique Mme El Hassak-Marzorati, en évoquant les huit îlots prévus chacun pour une cinquantaine de personnes, avec leurs six douches et toilettes. « Les migrants y dormiront par groupes de quatre avec à leur disposition une petite armoire et une prise électrique », complète Julien Beller, l’architecte.
Pour ce projet, le bâtisseur, assez atypique dans le paysage, a utilisé ses années de travail auprès des gens du voyage, autant que son expérience des friches industrielles. « Même si ce projet est pensé pour être déménagé dans deux ans lorsque les travaux du campus Condorcet commenceront boulevard Ney, il devait s’insérer parfaitement dans cet interstice libre aujourd’hui », précise-t-il. Si M. Beller croit au déménagement à venir, le milieu universitaire reste, lui, plus dubitatif sur la possibilité de récupérer le terrain dans deux ans.
Le parcours au sein du camp humanitaire commencera sous la bulle. « Les migrants débarquant à Paris seront tous accueillis dans cet espace ouvert sept jours sur sept de 8 heures à 20 heures, explique Dominique Versini, l’adjointe à la maire de Paris chargée de la solidarité et de la lutte contre les exclusions. Ils y recevront une carte nominative, bénéficieront d’un temps de repos, d’un repas et, pour ceux qui le souhaitent, d’un diagnostic infirmier opéré, juste à l’extérieur, dans des conteneurs spécifiques, par le SAMU social. » Médecins du monde sera lui aussi présent dans la structure, comme l’Office français de l’Immigration et de l’intégration et France terre d’asile.
« Un palliatif à la rue »
La Ville de Paris prendra à sa charge 50 % du coût de fonctionnement du pôle « accueil de jour », soit 1,2 million d’euros par an. Le reste sera couvert par l’Etat, qui paiera notamment l’intégralité du coût de fonctionnement du pôle « hébergement ». Globalement, le budget annuel est évalué à 8,6 millions d’euros, soit 40 euros par personne et par jour.
En complément de ce lieu, un autre espace sera aménagé à Ivry-sur-Seine (Val-de-Marne), spécifiquement pensé pour les familles, « pour les publics vulnérables, les femmes, les enfants, qui nécessitent un accompagnement beaucoup plus important » notamment au regard des réseaux de passeurs, a indiqué la maire de Paris mardi. Parents et enfants y seront emmenés en bus après avoir été eux aussi accueillis sous la bulle du boulevard Ney. Ce deuxième camp ouvrira en fin d’année. Il offrira trois cents places autour d’espaces de parentalité et des lieux pour faire soi-même sa cuisine. Les hommes seuls, eux, resteront dans les conteneurs de la halle, boulevard Ney.
« Ce camp est un palliatif à la rue, et surtout pas un hébergement de moyen terme », rappelle Mme Versini qui, en accord avec l’Etat, estime que la durée moyenne de séjour n’y excédera pas une semaine. « Juste le temps pour chacun de se reposer et d’être orienté vers un dispositif correspondant à sa situation », ajoute celle qui a beaucoup travaillé à l’élaboration du centre. L’Etat promet d’ouvrir massivement des places en centres d’accueil et d’orientation (CAO) et en centres d’accueil pour demandeurs d’asile (CADA) pour recevoir les candidats au statut de réfugiés, afin de désengorger la capitale et d’éviter l’embolie du camp.
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Depuis l’été 2015, des centaines de migrants campent dans les rues de Paris. Dès le 9 juin 2015, la maire de Paris, Anne Hidalgo, avait souhaité les mettre à l’abri, proposant la création d’une maison des migrants, rejetée par le gouvernement. Mais, un an plus tard, le plan du ministère de l’intérieur n’a pas permis de résorber les campements récurrents sur les trottoirs. Anne Hidalgo a donc annoncé l’ouverture de ce lieu humanitaire. Le gouvernement a préféré se rallier à une initiative qu’il ne pourrait empêcher plutôt que de laisser la première ville de France faire cavalier seul.
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En attendant cette ouverture, l’ambiance reste tendue dans la capitale. La Préfecture de police de Paris n’a eu de cesse de disperser tout l’été les migrants afin d’éviter les campements. La distribution massive d’obligations de quitter le territoire (OQTF) et la difficulté à déposer une demande d’asile dans la capitale ont exaspéré les associations. De leur côté, la Préfecture de Paris et celle de région mettent en avant les 15 000 propositions d’hébergements faites à des migrants depuis juin 2015. Lundi 5 septembre, les maires des 10e et 19e arrondissements déploraient pourtant encore, dans un courrier adressé aux ministres de l’intérieur et du logement, la présence de « campements de la honte » au sein de leurs arrondissements.
Un débat au Monde Festival : Accueil des réfugiés : des maires s’engagent
Anne Hidalgo, maire de Paris, participera au Monde Festival à la table ronde « Accueil des réfugiés : des maires s’engagent, le samedi 17 septembre avec Giusi Nicolini, maire de Lampedusa et Pascal Brice.