Dix-huit militaires, dont un ancien dictateur argentin, seront probablement condamnés vendredi par un tribunal de Buenos Aires pour avoir participé au Plan Condor, un système d’élimination d’opposants aux dictatures d’Amérique du Sud dans les années 1970 et 1980.

Washington était au courant de l’existence du Plan Condor, et ne s’y est pas opposé.

«S’il y a des choses qui doivent être faites, faites-les rapidement. Mais vous devez reprendre rapidement les procédures normales», a répondu le secrétaire d’Etat Henry Kissinger à un ministre argentin qui l’informait de l’opération, selon un document versé au dossier d’accusation.

C’est la première fois qu’un procès est consacré au Plan Condor en tant qu’organisation criminelle, même si des militaires sud-américains ont déjà été condamnés pour des meurtres perpétrés dans le cadre de ce plan.

Le verdict prononcé vendredi mettra fin à un procès qui a débuté en février 2013. Ils étaient 25 accusés, ils ne sont plus que 18, âgés de 77 à 92 ans. Sept sont décédés, notamment l’ancien dictateur argentin Jorge Videla (1976-1981), trouvé mort dans sa prison, trois jours après son témoignage. Il avait été précédemment condamné pour crime contre l’humanité.

- Plan institutionnalisé -

Parmi les 105 victimes du Plan Condor, la plupart étaient des réfugiés politiques qui avaient fui leur pays: 45 Uruguayens, 22 Chiliens, 13 Paraguayens, 11 Boliviens et 14 Argentins.

La plupart des exécutions ou enlèvements (89) ont été perpétrés en Argentine, où de nombreux Uruguayens, Chiliens et Paraguayens ayant fui leur pays vivaient comme réfugiés politiques.

«C’est le premier procès qui établit ce qu’on sait depuis des dizaines d’années: l’existence d’un plan criminel qui a été le Plan Condor (...), un système criminel et institutionnalisé», note Luz Palmas, l’avocate du Centre d’études légales et sociales (CELS), ONG argentine défendant les droits de l’Homme et représentant les intérêts des familles de victimes.

«De nombreux pays latino-américains attendent le verdict comme un des évènements judiciaires les plus importants», souligne-t-elle.

Le procès se tient à Buenos Aires, car la plupart des crimes ont été commis en Argentine, mais surtout parce que l’Argentine est le seul pays d’Amérique latine ayant entrepris une sorte de Nuremberg de la dictature qui a dirigé le pays de 1976 à 1980.

La justice argentine a jugé et condamné plusieurs centaines de militaires, reconnus coupables de crimes de guerre ou de crimes contre l’humanité.

Dans d’autres pays de la région, de nombreux dirigeants de l’armée impliqués dans des actes de répression ont été amnistiés.

- 300 témoins -

Environ 300 témoins ont été appelés à la barre durant les trois ans du procès.

Les magistrats se sont appuyés sur ce que l’on appelle les Archives de la terreur, découvertes au Paraguay dans les années 1990, et sur des documents déclassifiés par les Etats-Unis.

Le dernier dictateur de l’Argentine, Reynaldo Bignone (1982-1983), 88 ans, l’ex-général Santiago Omar Riveros, 92 ans, et l’ancien colonel uruguayen Manuel Cordero Piacentini, 77 ans, qui rapatriait les opposants uruguayens, figurent parmi les accusés de plus haut rang.

Si leur pays d’origine avait accepté leur demande d’extradition, le nombre des accusés aurait été supérieur.

Le Plan Condor prévoyait trois phases, détaille l’avocate argentine. Premièrement, l’identification des opposants. Deuxièmement, leur élimination ou leur enlèvement dans les pays sud-américains.

La troisième phase, la neutralisation d’exilés en Europe ou à l’extérieur de l’Amérique du sud, poursuit Luz Palmas, a finalement été suspendue après l’attentat mené par un agent des services chiliens, un ancien de la CIA, contre Orlando Letelier.

Letelier, ancien ministre de Salvador Allende, a été tué lors d’un attentat à la voiture piégée à Washington le 21 septembre 1976, considéré comme l’une des premières attaques terroristes sur le sol américain. Sa collaboratrice américaine Ronni Moffitt a elle aussi péri dans l’attentat.

«Des opérations étaient en préparation en France et au Portugal. Mais il y a eu des fuites et tout a été annulé», indique Luz Palmas.

L’énoncé du verdict devait débuter vers 17H00 locales (20H00 GMT).

AFP