A qui le tour ? Après Bamako au Mali, Ouagadougou au Burkina Faso… Voici que le terrorisme a frappé dimanche Grand-Bassam aux portes d’Abidjan, la capitale économique ivoirienne. L'attaque a fait 21 morts (15 civils, trois militaires et trois terroristes, selon le dernier bilan officiel des autorités, qui avaient dans un premier temps parlé de six terroristes tués) En quatre mois, l’Afrique de l’Ouest francophone a ainsi connu trois «Bataclan». Une stratégie de la terreur que décrypte Frédéric Lejeal, rédacteur en chef de la Lettre du Continent, publication de référence, spécialisée sur l’Afrique. 

L’attaque terroriste de la station balnéaire de Grand-Bassam est une première dans ce pays. Comment faut-il l’interpréter ?

Depuis plusieurs mois, on savait que la Côte-d’Ivoire, et le Sénégal, étaient des cibles potentielles en raison surtout de leur attrait touristique. Tous les services étaient au courant. On l’oublie souvent mais, il y a un an, une gendarmerie ivoirienne avait déjà été attaquée dans le nord de ce pays. Et depuis l’attentat de Ouagadougou au Burkina Faso le 15 janvier [qui s’est soldé par trente morts devant deux hôtels de la capitale, ndlr], la sécurité avait été renforcée également en Côte-d’Ivoire. Mais il est très difficile d’appréhender ces petits groupes très mobiles, très atomisés. Reste que je ne crois pas que cette attaque était spécifiquement antifrançaise. Bien sûr, Grand-Bassam [ancienne capitale coloniale] est un bastion d’expatriés, surtout pendant le week-end. Mais la plupart des victimes sont ivoiriennes, il ne faut pas l’oublier. L’attaque confirme d’abord la surenchère mortifère à laquelle se livrent les groupes jihadistes présents dans la région.

En quoi cet attentat conforterait-il la stratégie d’un groupe particulier ?

L’attaque a très vite été revendiquée par Al-Qaeda au Maghreb islamique (Aqmi) et par Al-Mourabitoune [le groupe dirigé par l’insaisissable Mokhtar Belmokhtar, également instigateur des attaques de Bamako et Ouagadougou, qui a fait allégeance à Aqmi en décembre 2015]. Jusqu’à récemment, Aqmi s’était spécialisé dans les prises d’otages d’Occidentaux. Harcelé par les actions militaires dans le Nord-Mali, depuis le lancement de l’opération Serval en 2013, ce groupe opte depuis peu pour un autre mode opératoire. Plus violent, plus spectaculaire et qui lui permet en outre de contrebalancer l’influence de l’Etat islamique (EI) dans la région. Même si l’EI se concentre pour le moment sur l’Afrique du Nord et notamment la Libye, c’est une façon de frapper les esprits et de sanctuariser un territoire, l’Afrique de l’Ouest, à travers des actions violentes.

Cette attaque ne signe-t-elle pas l’échec de la stratégie militaire des Occidentaux et notamment des Français, qui interviennent pourtant au Sahel depuis 2013, sans jamais avoir réussi à coincer Belmokhtar, donné plusieurs fois mort ?

Mokhtar Belmokhtar est vraisemblablement toujours au Nord-Mali où il bénéficie de relais et de complicités locales. Il a réussi à déjouer toutes les tentatives pour l’éliminer, mais il ne faut pas oublier que le Nord-Mali est aussi vaste que l’Europe. Ce ne sont pas 3 500 militaires français qui peuvent couvrir tout ce territoire. Sans compter que l’opération française Barkhane [qui a succédé à Serval en août 2014] qui protège la région est actuellement affaiblie. Ses équipements et ses effectifs sont en baisse, transférés notamment vers d’autres théâtres d’opération : la Libye et la Syrie. Mais face à ce type d’attentats, la réponse militaire est de toute façon insuffisante.

Quelles conséquences cette attaque aura-t-elle pour la Côte-d’Ivoire, peut-elle y faire face ?

Les forces de sécurité ivoiriennes sont dans l’ensemble efficaces et actives, elles ont d’ailleurs réagi très rapidement. Ces derniers mois, la surveillance des frontières a été renforcée, celle des imams radicaux également. Et le président, Alassane Ouattara, prépare une grande réforme des services secrets qui seront plus étroitement rattachés à la présidence. Par ailleurs, cette attaque ne devrait pas avoir d’effets sur les investissements étrangers, ni sur les milieux d’affaires. C’est un pays au tissu économique solide, même si la Côte-d’Ivoire reste fragile après dix ans de guerre civile larvée. Reste qu’on assistait à une indéniable reprise et que la fréquentation touristique va certainement baisser alors que de grands projets étaient en cours d’achèvement. Ce genre d’attaques est toujours préjudiciable à l’image du pays. Mais c'est aussi le but : les terroristes cherchent également à déstabiliser l’économie du pays visé.

Maria Malagardis