• Que dit cette publicité raciste pour une lessive sur la Chine d'aujourd'hui?

     

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    Que dit cette publicité raciste pour une lessive sur la Chine d'aujourd'hui?

    Publication: 27/05/2016 17h56 CEST Mis à jour: 27/05/2016 22h07    LIEN
     

     

     
     

    La Chine raciste ? Un peu comme la France des colonies, diront certains. Une brève recherche sur Internet permet de trouver une affiche publicitaire pour un savon datée des années 1950. On y voit un jeune homme noir qui se lave les mains en disant : "Le savon Dirtoff me blanchit." Résultat de ce savon "miraculeux", sa main prend la couleur de celle d'un homme blanc. Conclusion au bas de l'affiche : "Le savon Dirtoff pour mécaniciens, automobilistes et ménagères nettoie tout !"

    Nul besoin de remonter aussi loin pour trouver l'origine de la dernière publicité chinoise incroyablement raciste qui fait scandale sur Internet. Qiaobi, la marque de lessive incriminée, n'a rien inventé : elle est allée chercher son inspiration en Occident. Comme le signale le site anglophone Shanghaiist, elle imite "presque" en tous points une publicité italienne de 2007 : une jeune femme plonge un homme blanc en slip ridicule dans son lave-linge, d'où ressort un homme noir fringuant et musclé. De la grande finesse.

    Alors que la phrase de chute de la pub italienne est : "Colours are better", la pub chinoise, à l'inverse, fait plonger un jeune playboy noir et légèrement recouvert de tâches de peinture dans un lave-linge. La ménagère chinoise, à l'imitation de son modèle italien, a fait mine de vouloir se laisser embrasser pour mieux piéger le jeune homme, en rajoutant un détail d'importance : elle prend soin de lui glisser dans la bouche une capsule de lessive, avant de s'assoir, l'air espiègle, sur la machine alors qu'on entend des cris. En un clin d'œil ressort du lave-linge un apollon chinois, d'une blancheur éblouissante, qui rend la capsule de lessive intacte avec un clin d'œil à la ménagère ébahie. « Miracle » d'efficacité du marketing à la chinoise.

    Que dit exactement cette publicité sur la Chine d'aujourd'hui ? Qu'elle a certainement un problème avec la couleur de la peau. La blancheur est le critère de beauté ultime. Par contraste, une peau foncée est synonyme de saleté et de pauvreté, comme les visages tannés par le soleil des personnes issues des ethnies minoritaires chinoises, souvent déclassées et méprisées. Alors que dire des noirs dans les yeux des Chinois ?! Les clichés y ont la vie dure, comme au bon vieux temps des colonies en France. Avoir la peau noire signifie qu'on ne se lave pas, qu'on sent mauvais et qu'on donne de soi une image satanique. Or, la jeune femme chinoise moderne aspire à un mari modèle, "propre", dans un intérieur aussi neutre que spacieux, comme dans la publicité scandaleuse. Elle habite sans doute dans une mégapole côtière, Shanghai ou Shenzhen. Bref, elle représente l'idéal de chaque famille chinoise, qui "perd la face" si sa fille n'est pas mariée assez tôt avec un mari chinois possédant un appartement, un bon boulot et une grosse voiture.

    La valorisation de la blancheur s'accompagne de la suprématie de l'ethnie Han (92% de la population chinoise) sur les autres dans le reste du pays, en particulier les Tibétains et les Ouïghours musulmans. C'est ce qu'apprennent à l'école tous les Chinois, comme en France avec "nos ancêtres les Gaulois".

    Tous ces clichés combinés expliquent en partie le problème des Chinois avec les Africains. Très mal connus dans le pays, ils sont souvent considérés comme des "populations faibles de pays sous-développés", contrairement aux Occidentaux blancs perçus comme "puissants et avancés". La Chine populaire a déjà connu des crises racistes à la fin des années 1970 et des années 1980, juste avant le mouvement de Tian'anmen. Des milliers d'étudiants chinois avaient alors manifesté au cri de "Va-t-en, fantôme noir !", pour protester contre l'inégalité de traitement avec leurs condisciples africains, autorisés à loger dans des chambres de deux contre des chambres à huit lits pour les Chinois. Plus récemment, les habitants de Canton ont "découvert" après un recensement que 300 000 Congolais, Guinéens, Maliens ou Nigérians formaient une "ville africaine", désormais partie intégrante de la mégapole du sud du pays. En juillet 2012, un mois avant un sommet Chine-Afrique, des Africains ont violemment manifesté à Canton après qu'un Nigérian a été retrouvé mort alors qu'il était aux mains de la police chinoise.

    Un autre exemple plus récent qui montre la "banalité" en Chine de l'image diabolique des noirs : dans la foulée des attentats du 13 novembre à Paris, l'université de Hangzhou au sud de Shanghai a mené un exercice militaire pour répéter une attaque terroriste, en choisissant des étudiants africains pour jouer les terroristes. Sur les photos édifiantes de l'exercice, ces derniers retiennent en otage une jeune Chinoise en menaçant la police armée avec une machette en céramique.

    Comment la Chine espère-t-elle "conquérir les cœurs" hors de chez elle via un soft power mâtiné de culture traditionnelle, si elle autorise des publicités d'un racisme aussi éhonté ? Que les entreprises chinoises ne voient aucun problème à produire une publicité aussi indigne, parce que cela ne choque personne en Chine, est fort déplorable. Mais comment accepter que les autorités de Pékin ne disent rien, alors qu'elles n'hésitent pas à censurer tout objet audiovisuel "politiquement déviant"? Pour l'instant, les médias officiels sont dans le déni.

    Cela rappelle la réponse aux critiques des fans du dernier épisode de Star Wars. Sur la version chinoise de l'affiche du film, la taille de l'acteur noir John Boyega avait été considérablement réduite, sans raison. A l'époque, le quotidien officiel chinois Global Times avait nié tout racisme en citant des experts. "La Chine est un pays multi-ethnique, il n'y a pas de discrimination contre les personnes noires, affirmait Steven Dong, professeur à l'Université de la Communication de Chine. Les Chinois et les Africains ont su maintenir une relation d'amitié." On serait tenté de dire que le racisme en Chine est comme la pollution de l'air à Pékin : longtemps le gouvernement a prétendu qu'elle n'existait pas. Mais au final, il a été forcé de l'admettre pour éviter de se mettre en danger. C'est aussi parce que la société civile a fait pression.

    En France, ce n'est qu'à la fin du XXème siècle que les publicités ouvertement racistes n'ont plus eu droit de cité. Avec l'émergence d'associations comme SOS Racisme, les mœurs et surtout le gouvernement ont évolué vers une éducation populaire antiraciste, avec la publicité comme vecteur de contre-attaque. Sur ce plan, le changement en Chine demande une prise de conscience d'une partie de la société. A moins que le gouvernement souhaite éviter de perdre la face devant les étrangers. Pour les Jeux Olympiques de Pékin en 2008, les Chinois avaient été interdits de cracher car cela faisait mauvais genre aux yeux des visiteurs. Le racisme aussi est une perte de face.

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