A 41 ans, Leonardo DiCaprio a donc remporté son premier Oscar. A l’issue d’une longue soirée, le suspense qui tenait les médias et les réseaux sociaux en haleine depuis des semaines s’est enfin dénoué dimanche 28 février au Dolby Theatre de Los Angeles. La performance titanesque de l’acteur dans The Revenant, un trappeur revenu d’entre les morts après avoir été littéralement démoli par un ours, traversant les montagnes enneigées d’Amérique du Nord terrassé de douleur, de froid et de faim, ivre de colère et de vengeance, a été récompensée comme il l’espérait.
Jusqu’au bout, DiCaprio aura tenu son rôle de vedette de la soirée, profitant de la tribune qui lui était offerte pour livrer, à une vitesse-éclair, un discours sur le réchauffement climatique et l’urgence qu’il y a aujourd’hui à « cesser de procrastiner » pour se mettre à « travailler collectivement ». « Nous devons soutenir les leaders dans le monde qui ne parlent pas pour les gros pollueurs et les grandes multinationales, mais qui parlent pour toute l’humanité, pour les indigènes du monde, pour les milliards de défavorisés qui seront les plus affectés par le changement climatique, pour les enfants de nos enfants, et pour ceux dont les voix ont été noyées par les politiques mercantiles. »
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Quelques minutes plus tôt, l’auteur du film, Alejandro Gonzalez Iñarritu, était sur scène pour recevoir l’Oscar du meilleur réalisateur. Si The Revenant faisait partie des favoris de la compétition (il a aussi reçu, pour le travail d’Emmanuel Lubezki, le Prix de la meilleure photographie), cette récompense faisait entrer le réalisateur mexicain dans l’histoire. Un an après Birdman, Iñarritu est devenu le troisième cinéaste, après John Ford et Joseph L. Mankiewicz, à remporter cette distinction deux années de suite.
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Chris Rock, vedette de la soirée
Pour la grande surprise, il aura fallu attendre les dernières secondes de la soirée, et la consécration de Spotlight, de Tom McCarthy, comme meilleur film de l’année. Porté par une brochette d’acteurs dont la modestie apparaît comme le parfait contrepoint à la performance hors normes de DiCaprio, ce film-enquête dont la sobriété assèche parfois le propos retrace le travail des journalistes du Boston Globe qui a conduit, au début des années 2000, à la révélation d’une série de crimes pédophiles au sein de l’Eglise catholique. Outre cette consécration suprême, le film a été récompensé par le Prix du meilleur scénario original.
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L’autre grande vedette de la soirée fut, indéniablement, le comédien noir Chris Rock. Au maître de cette 88e cérémonie des Oscars, il revenait la tâche délicate de mettre en scène, sans gâter la fête, la polémique qui a violemment agité le milieu du cinéma ces dernières semaines sur le racisme d’Hollywood, et sa conséquence directe, l’absence d’artistes et de techniciens noirs parmi les nommés. Le comédien s’en est sorti avec classe, appuyant là où ça fait mal, tout en réussissant à retomber toujours du côté du rire, et ce dès son entrée en matière : « Eh bien, je suis ici aux Oscars, également connus pour être les trophées du choix du peuple blanc. » Si cette polémique n’est pas née plus tôt, a-t-il estimé, « c’est que pendant longtemps on avait de vrais trucs contre lesquels se battre. On était trop occupé à être violé et lynché pour se préoccuper de qui était le meilleur directeur de la photographie. Quand votre grand-mère pend au bout d’un arbre, c’est difficile de s’intéresser au meilleur court-métrage documentaire… »
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Comme le veut la tradition, son discours d’introduction était émaillé de piques à différentes personnalités du cinéma, à commencer par Will Smith (« C’est vrai, c’est pas juste que Will n’ait pas été invité. Mais ce n’est pas juste non plus qu’il ait été payé 20 millions pour Wild Wild West ! »), et son épouse (« Jada qui boycotte les Oscars, c’est comme moi qui boycotterais la culotte de Rihanna. Je n’ai pas été invité ! »). Ce qui n’a pas empêché Chris Rock d’évoquer devant la belle assemblée, et d’être chaleureusement applaudi pour l’avoir fait, le scandale des crimes racistes impunis de la police américaine : « Cette année, dans l’hommage aux disparus, il n’y aura que des Noirs qui ont été tués par les flics en allant au cinéma. »
Six prix pour « Mad Max »
Parmi les autres vainqueurs de la soirée, il faut citer Mad Max: Fury Road. Nommé dans les catégories « meilleur film » et « meilleur réalisateur », le road-movie déchaîné de George Miller a dû se contenter de prix techniques, mais la moisson fut quand même belle : six Oscars, pas moins, pour le meilleur montage, les meilleurs costumes, la meilleure direction artistique, les meilleurs maquillage et coiffure, le meilleur montage son et le meilleur mixage. L’Oscar de la meilleure actrice est allé à Brie Larson, jeune actrice de 26 ans, pour son rôle dans Room, de Lenny Abrahamson (sortie française le 9 mars). Ce qui laisse notamment sur le carreau Charlotte Rampling, nommée pour sa performance très remarquée dans 45 ans, de Andrew Haigh, et dont il est permis de penser qu’elle paye peut-être sa récente saillie sur le racisme antiblanc.
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A 87 ans, Ennio Morricone, quant à lui, a gagné le premier Oscar de sa carrière pour la partition des 8 Salopards, de Quentin Tarantino. Vice Versa, de Pete Docter, a été couronné meilleur film d’animation de l’année, et Amy, le biopic d’Amy Winehouse signé Asif Kapadia, meilleur documentaire. Le prix de la meilleure chanson a été décerné à Writing’s on the Wall, de Sam Smith et Jimmy Napes, pour 007 Spectre, de Sam Mendes, et celui du meilleur scénario d’adaptation à The Big Short, d’Adam McKay, pour lequel on espérait un plus glorieux résultat. Enfin, Le Fils de Saul, du Hongrois László Nemes, a reçu l’Oscar du meilleur film en langue étrangère, coiffant au poteau Mustang, de Deniz Gamze Ergüven, qui concourrait pour la France.
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