C’est dans une ambiance tendue qu’une juge professionnelle des prud’hommes a entamé jeudi dans une salle bondée de Forbach (Moselle) l’examen de 834 dossiers de «gueules noires», qui demandent la reconnaissance de leur préjudice d’anxiété pour l’exposition à des substances cancérogènes.

Installés dans une salle spéciale au sous-sol de la mairie de Forbach (Moselle), quelque 500 anciens mineurs sont venus assister à cette audience hors-norme, rythmée par leurs quintes de toux.

Ils peinent à garder le silence lorsque le liquidateur de Charbonnage de France (CDF), Daniel Cadoux, fustige à la barre une «argumentation de bric et de broc».

Les murmures enflent lorsque l’avocate de la défense, Me Françoise Mertz, évoque leurs «prédispositions personnelles» au développement des maladies : tabac, alcool...

- «L’anxiété, c’est réel» -

«Nous avons en face de nous des élites de la nation, des énarques, des corps des mines. Ce sont des gens qui ne font jamais d’erreurs», ironise le suivant à la barre, François Dosso, militant CFDT et bras armé du syndicat dans ce dossier.

«L’anxiété, c’est réel», martèle M. Dosso. «On vit entre nous, on n’a pas besoin de lire le journal pour savoir que le voisin est mort, ni de quoi il est mort».

Vingt personnes qui avaient déposé des dossiers sont mortes depuis le début de la procédure, en 2013.

«Notre combat, c’est que notre exposition soit reconnue, que nos maladies soient reconnues, que nos veuves puissent faire reconnaître nos maladies», ajoute le délégué syndical.

Les demandes oscillent entre 6.000 et 40.000 euros par dossier.

«Pourquoi on demande une indemnisation ? Parce qu’on n’est pas dans la loi du talion. On ne demande pas qu’à chaque fois qu’un mineur meurt, on tue un patron», pique-t-il sous les applaudissements de la salle, rapidement rappelée à l’ordre par la juge départiteur.

Entourée de 4 conseillers prud’homaux, la magistrate tient l’audience d’une main ferme, minutant les interventions des uns et des autres.

- Jurisprudence -

Les débats, qui doivent durer jusqu’à jeudi soir, vont également tourner autour d’une jurisprudence de la cour de Cassation qui, en février 2016, a estimé que travailler dans l’amiante ne constitue pas nécessairement un préjudice d’anxiété.

«L’anxiété, c’est le propre de la condition humaine», ajoute, à la pause de midi, le liquidateur, accusant les mineurs de jouer «sur l’émotion en parlant de la mort».

«On nous prend pour des malpropres», bondit Casimir Zajaczkowski, 58 ans dont 27 au fond de la mine.

«Il n’y a aucun respect pour nous. Qu’ils défendent, soit, c’est leur métier, mais là c’est une insulte, pour nous et les camarades qui sont morts», enrage ce mineur dont le père est mort de la silicose, et pour qui l’anxiété est bien réelle.

«J’ai une bronchite chronique, une prothèse au genou à cause d’un accident du travail, des problèmes respiratoires, et on voit les autres...».

«On ne le fait pas pour le pognon. On le fait pour qu’il soit reconnu que l’on travaillait avec des produits dangereux», renchérit Jean-Paul Monper, 58 ans dont 25 à la carrière de Freyming.

«Quand je vois tous les mineurs aujourd’hui, toutes les maladies qui se développent dont on ne parlait pas à l’époque: cancer de la gorge, de la vessie... ça fait quand même peur, ça fait quand même réfléchir. Après on se dit: jusqu’à quel degré, toi, tu as été contaminé ?», raconte-t-il.

C’est cette «épée de Damoclès», qui caractérise le préjudice d’anxiété résume Me Jean-Paul Teissonière, qui défend 732 des 834 dossiers.

Selon l’avocat, «on avait la possibilité de faire en sorte que les gens ne soient pas exposés. On ne l’a pas fait, pour faire des économies».

En février 2015, la justice prud’homale avait déjà reconnu pour la première fois à d’autres mineurs lorrains, employés dans des mines de fer, un préjudice d’anxiété face au risque de développer de graves maladies professionnelles. L’ancien exploitant de mines de fer en Lorraine, Lormines, a fait appel de cette décision.

Le délibéré est attendu le 30 juin.

AFP