Les primaires sont terminées : on connaît désormais les candidats, Hillary Clinton côté démocrate, Donald Trump chez les républicains, pour l’élection présidentielle américaine. Pour ne rien rater avant le rendez-vous du 8 novembre, Libération fait chaque semaine le point sur la campagne.

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Le billet d’Amérique

Rendre les armes, l'éternel vœu pieux américain

«Vent de révolte», «rébellion sans précédent», «tournant historique» : les superlatifs ne manquent pas pour qualifier le sit-in organisé mercredi et jeudi par les démocrates à la Chambre des représentants. Pendant plus de 24 heures, plusieurs dizaines d’élus, assis sur la moquette et se relayant au pupitre, ont occupé l’hémicyle afin de réclamer un vote concernant les restrictions sur les armes à feux, après la tuerie d’Orlando.

Le mouvement a été initié par le Congressman John Lewis, élu noir de Géorgie et figure du mouvement des droits civiques. Lors de la marche historique pour le droit de vote des Noirs, en 1965 à Selma, John Lewis s’était agenouillé pour prier. Il avait eu le crane fracturé par les matraques des troopers de l’Alabama. Plus d’un demi-siècle plus tard, l’élu de 75 ans s’est trouvé un nouveau combat. «Sommes-nous aveugles ? Combien de mères supplémentaires, de pères, vont-ils devoir verser des larmes de deuil avant que nous fassions quelque chose ?», s’est-il exclamé, avec le même timbre de voix, la même emphase que son ancien compagnon de route, Martin Luther King. «Nous avons été trop calmes pendant trop longtemps. Il est temps d’agir. Nous ne serons plus silencieux», a-t-il ajouté.

Les élus démocrates veulent donc faire du bruit. Beaucoup de bruit pour pas grand chose, à en croire la réaction des responsables républicains, qui ont rejeté l’appel de leurs adversaires, coupé micros et caméras dans la salle puis ajourné les travaux de la Chambre pour deux semaines de congés. Circulez, rien à voir. «Nous reviendrons le 5 juillet, plus déterminés que jamais», a promis John Lewis.

John Lewis au milieu d'autres membres de la Chambre des représentants des Etats-Unis, le 22 juin.John Lewis au milieu d'autres membres de la Chambre des représentants des Etats-Unis, le 22 juin. (AFP)

Les élus démocrates le savent pourtant, toute avancée législative sur cette question ultrasensible ne pourra se faire que si le peuple le réclame. On sait ce que la majorité des Américains souhaitent : un contrôle généralisé d’antécédents lors des ventes d’armes et l’interdiction de la vente à toute personne soupçonnée de terrorisme. Y compris dans les Etats conservateurs, la plupart des électeurs sont favorables à ces mesures, défendues par les démocrates mais catégoriquement rejetées par les républicains.

Pourquoi alors un tel blocage ? Pourquoi ces mesures, soutenues par la population et qui semblent relever du bon sens, n’ont toujours pas été votées ? Il y a bien sûr le poids de la NRA, qui verse de l’argent aux élus. Lundi, sur les 47 sénateurs ayant rejeté une mesure restrictive, un seul n’avait pas touché de contribution de la part du puissant lobby des armes

Mais rejeter entièrement la faute sur la National Rifle Association serait à la fois injuste et erroné. Car le principal responsable de cet immobilisme n’est autre que le peuple américain. Les sondages le montrent : les électeurs s’intéressent finalement assez peu au sujet des armes, très rarement en tête de leurs priorités. Tant que les Américains ne seront pas disposés à punir dans les urnes ceux qui refusent tout durcissement de la législation, aucune réforme ne sera possible. D’autant qu’en face, les défenseurs les plus ardents des armes, eux, se mobilisent. Encadrés par la NRA, ils ne ratent pas un scrutin. On les appelle des «single-issue voters», des électeurs qui ne votent qu’en fonction d’un seul sujet : les armes. Tant que la majorité silencieuse n’en fera pas autant, les fusils semi-automatiques continueront de semer la mort dans les écoles, les cinémas, les discothèques et les rues des Etats-Unis.

Par Frédéric Autran, correspondant aux Etats-Unis

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Les billets verts de la semaine

Milliardaire et fauché

C'est peut-être l'un des plus grands paradoxes de Donald Trump, qui n'en est pourtant pas avare : tout milliardaire qu'il est, sa campagne est jusqu'ici largement sous-financée. Son équipe a terminé les primaires avec à peine plus d'un million de dollars dans les caisses, contre 42 pour celle de Hillary Clinton, qui emploie aussi dix fois plus de personnes. Il faut dire que jusqu'ici, Trump a pu compter sur les médias pour faire sa promo malgré eux en ne parlant que de lui, ou presque. Conséquence directe, il a très peu investi dans les publicités, l'une des armes favorites des candidats américains. Ne pas lever d'argent, donc ne devoir des comptes à personne, était même pour lui un argument électoral de poids : au moins, lui n'était pas contraint par ceux qui le financent, les mains liées par des lobbys.

Mais la présidentielle se profile, et l'écart financier va finir par avoir des conséquences. Toujours bravache, le milliardaire new-yorkais a assuré cette semaine qu'il était prêt à puiser dans sa propre fortune (qu'il auto-évalue à 10 milliards de dollars) pour financer sa campagne, ce qu'il a déjà fait pendant les primaires - il aurait dépensé 50 millions. Surtout, les pontes du parti républicain, sentant la banqueroute arriver, commencent à s'activer sérieusement pour lever des fonds. Le temps presse…

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La lettre de la semaine

Sanders impose ses conditions

Jeter l'éponge ? Se rallier ? Depuis des semaines, Hillary Clinton se desespère de l'attitude de Bernie Sanders, qui continue de battre campagne malgré l'assurance de voir son adversaire désignée candidate à la présidentielle lors de la convention démocrate de juillet. Entre réunions semi-secrètes et négociations âpres, le fameux discours de ralliement se précise mais se fait toujours attendre. Pire : Bernie Sanders en a remis une couche dans une tribune publiée par le Washington Post, sobrement intitulée «Ce que nous voulons». Et le sénateur du Vermont d'énumérer de nombreux axes de sa campagne, sonnant en creux comme autant d'absences dans le programme de l'ex-secrétaire d'Etat : une économie plus juste, un financement des campagnes électorales transparent, le droit de vote pour tous, des investissements dans la jeunesse, l'école et le système judiciaire, la transition énergétique, … Il reste un mois pour trouver un terrain d'accord, avant la convention de Philadelphie, le 25 juillet. Pour l'instant, Sanders s'est contenté de dire du bout des lèvres qu'il voterait Clinton contre Sanders en novembre. Bon courage.

Bernie Sanders en meeting à Palo Alto, en Californie, le 1er juin. Bernie Sanders en meeting à Palo Alto, en Californie, le 1er juin. (AFP)

Le licenciement de la semaine

Trump se sépare de son directeur de campagne

C'est comme un symbole de l'évolution que Donald Trump veut donner à sa campagne, maintenant qu'il ne s'agit plus de gagner les primaires républicaines mais l'élection présidentielle : le milliardaire new-yorkais s'est séparé de celui qui était son directeur de campagne depuis le début, Corey Lewandowski. Bien sûr, ce dernier était devenu un peu encombrant depuis une violente altercation avec une journaliste, en mars. Surtout, son inexpérience était largement critiquée depuis des mois par de nombreux membres du parti républicain. Un jugement que le camp Trump a longtemps balayé avant de finalement s'y ralier : «Pas au niveau.» Quand il s'agissait de s'accaparer le vote républicain, Lewandowski, qui ne tempérait jamais aucune saillie de Trump, faisait l'affaire. Mais maintenant qu'il faut convaincre l'ensemble des électeurs américains de voter pour le bouillant milliardaire, il va plutôt falloir trouver quelqu'un avec un peu plus de poigne…

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Pour aller plus loin…

Nous vous proposons une sélection hebdomadaire d’articles en VO, pour se plonger encore plus dans la campagne. Au menu cette semaine :

• Donald Trump a répété cette semaine, à l'occasion d'un énième discours, que sa politique et celle du parti républicain était la meilleure pour les «opprimés», des femmes aux LGBT en passant par les différentes minorités éthniques. Avec un argument massue : sa politique anti-immigration empêchera la venue de personnes «qui veulent tuer les gays et faire des femmes des esclaves». Une position battue en brêche par Charles M. Blow, éditorialiste au New York Times.

• Mais pourquoi, après des mois de primaires, a-t-on l'impression que la campagne de Hillary Clinton n'a toujours pas décollé ? Charles Krauthammer est éditorialiste au Washington Post, et il a une idée assez précise de la question. Il appelle ça «l'hyllarisme».

• Incontrôlable et incontrôlé, Donald Trump écoute-t-il seulement quelqu'un d'autre que lui-même ? Oui : ses enfants.

(To be continued…)

Baptiste Bouthier , Frédéric Autran Correspondant à New York