Fin juillet, la traque d’Abdel Malik Petitjean, l’un des bourreaux du père Jacques Hamel à Saint-Etienne-du-Rouvray, avait connu une issue tragique. Celle commencée dimanche matin, avec la découverte d’une Peugeot 607 remplie de bonbonnes de gaz près de la cathédrale Notre-Dame, a réussi, de justesse.

Pour les enquêteurs, le doute n’a pas excédé quelques heures : la destinée du véhicule était bien d’exploser en plein cœur du Ve arrondissement. Ils en tiennent pour preuve la couverture imbibée d’hydrocarbure et la cigarette non consumée découvertes dans le coffre. Problème, tous les suspects se sont déjà volatilisés, lorsqu’un employé de bar signale la présence de la voiture, feux de détresse allumés. Le parquet de Paris ouvre une première enquête préliminaire pour «association de malfaiteurs en lien avec une entreprise terroriste criminelle».

Dimanche soir, un père de famille originaire de Seine-Saint-Denis signale la disparition d’une de ses cinq filles, soupçonnée d’être sur le chemin de la Syrie. Or, Inès M., 19 ans, n’est nullement en transit vers le «califat». Avec Ornella D., rencontrée en ligne et arrêtée mardi avec son mari et ses trois enfants dans le Vaucluse, elle est celle qui a tenté d’embraser la Peugeot 607, rue de la Bûcherie. Après une première tentative infructueuse, les jeunes femmes, toutes deux fichées «S», ont fui à la vue d’un homme qu’elles ont pris pour un policier en civil. Il s’agissait en fait d’un riverain inquiet.

En garde à vue, Ornella D. confesse beaucoup de choses aux policiers. En croisant ses déclarations avec de multiples données techniques et des arborescences de filières jihadistes, ils remontent plusieurs pistes. Mercredi soir, un deuxième couple, originaire de Châlette-sur-Loing (Loiret), est placé en garde à vue. L’homme, âgé de 27 ans, est le frère du mari d’Ornella D. Le sérieux de l’affaire est renforcé par le fait que tout ce monde gravite dans la sphère d’Hayat Boumeddiene, la femme du tueur de l’Hyper Cacher, Amédy Coulibaly.

Un «premier commando de femmes»

Les policiers de la Direction générale de la sécurité intérieure (DGSI) se concentrent alors sur le bornage du téléphone portable d’une femme suivie en région parisienne. Les investigations sur celle-ci sont jugées «si sensibles» qu’aucune source ne souhaite en évoquer la teneur. Toujours est-il que la DGSI finit par obtenir des informations laissant entendre que des attaques imminentes sont en préparation. Le parquet de Paris se décide à ouvrir une seconde enquête préliminaire, permettant de diligenter une salve d’interceptions judiciaires. Au gré de ces dernières, les policiers comprennent qu’Inès M. et deux autres femmes, Amel S., 39 ans, et Sarah H., 23 ans, envisagent de frapper dans une gare jeudi.

Géolocalisation, filatures, tout est mis en œuvre pour interpeller le plus rapidement possible ce que le procureur de Paris, François Molins, qualifie de «premier commando de femmes». Alors qu’il écoute le discours de François Hollande, jeudi midi, à Wagram, Bernard Cazeneuve est informé par le patron de la DGSI, Patrick Calvar, que les trois femmes viennent d’être «logées». Elles se trouvent dans l’appartement d’Amel S., à Boussy-Saint-Antoine (Essonne). Une voiture de la DGSI y est immédiatement envoyée, en planque.

En début de soirée, les trois femmes apparaissent sur le parking. Elles sont sur le qui-vive, scrutant tout ce qui se passe autour d’elles. C’est alors que Sarah H., «entièrement voilée», dixit François Molins, repère la voiture des policiers. Elle se jette sur eux, couteau à la main, et blesse un fonctionnaire à l’épaule. Inès M., également munie d’un couteau, essaie de l’imiter, mais un policier la blesse par balles au niveau de la cuisse et de la cheville. Les jours de la jeune femme, hospitalisée au Kremlin-Bicêtre (Val-de-Marne), ne sont pas en danger. Quant à Amel S., elle est interpellée, ainsi que sa fille de 15 ans.

«Téléguidées» depuis la Syrie

Vendredi, lors d’une conférence de presse, François Molins a dévoilé des éléments traduisant «l’extrême détermination» des trois femmes : dans le sac à main d’Inès M., un document manuscrit d’allégeance à l’Etat islamique (EI) a été retrouvé. La jeune femme indique «répondre à l’appel» d’Abou Mohammed al-Adnani, l’ex-porte-parole de l’organisation, tué le 30 août par un tir de drone américain. Dans son ordinateur personnel, les enquêteurs ont également exhumé de nombreux documents provenant de la propagande de Daech.

Le cas de Sarah H. est tout aussi éloquent. Connue de longue date pour ses velléités jihadistes, elle avait pour projet de se marier à Larossi Abballa, l’assassin du couple de policiers de Magnanville (Yvelines). Ce dernier ayant été tué dans un assaut du Raid, elle s’est alors tournée vers Adel Kermiche, 19 ans. Mais le 26 juillet, ce dernier est également tombé sous les balles de la police, à Saint-Etienne-du-Rouvray, après le meurtre du père Jacques Hamel. Ces derniers jours, elle est devenue l’épouse de Mohamed Lamine Aberouz, frère de Charaf Eddine Aberouz, actuellement incarcéré pour ses liens étroits avec Larossi Aballa. Des maris successifs qui lui ont, semble-t-il, été proposés virtuellement. Selon François Molins, les trois femmes ont en effet été «téléguidées» par plusieurs jihadistes présents en zone irako-syrienne. L’un d’eux serait Rachid Kassim, un combattant originaire de Roanne, particulièrement actif sur les applications de messagerie cryptée.

Willy Le Devin