La scène a été filmée sous tous les angles. Mercredi, quelques centaines de policiers défilaient sur la place la République, à Paris, à l’appel de plusieurs syndicats, contre «la haine des flics». La contre-manifestation, interdite au dernier moment par la préfecture de police, s’est alors transformée en manif sauvage. A deux rues du rassemblement, sur le quai de Valmy, une poignée de manifestants encapuchés et le visage partiellement masqué se sont attaqués à une voiture de police qui patrouillait dans le quartier, sous l’œil de très nombreuses caméras. Deux vidéos, réalisées au plus près du violent assaut, ont été diffusées sur Internet et largement visionnées.

Ambiance confuse. On y voit d’abord un homme briser d’un coup de pied la fenêtre avant, côté conducteur. Un autre se penche pour donner des coups au fonctionnaire à l’intérieur de la voiture. Puis un troisième lance un potelet de voirie (une «bite») sur le pare-brise. A ce moment-là, le policier sort son arme de service, en restant à l’intérieur du véhicule. Il braque très brièvement une cible hors du cadre, avant d’avancer son véhicule de quelques mètres, bloqués par la file de voitures arrêtées devant lui. La charge des manifestants reprend : l’un tape la vitre arrière avec une longue tige rigide, un autre y fait un gros trou en lançant à nouveau un potelet. C’est par cet interstice qu’est alors jeté un fumigène qui s’enflamme dans l’habitacle et le sature d’une fumée noire. L’homme à la tige continue de frapper la voiture puis le conducteur, un adjoint de sécurité gaillard, qui sort et prend quelques coups qu’il pare aisément avec ses bras. Côté passager, d’autres manifestants aident l’occupante, une gardienne de la paix, à sortir. Dans l’ambiance confuse, il est difficile de savoir à qui s’adressent les «dégage !» lancés par les militants. La voiture prend feu et sera entièrement détruite.

Le parquet de Paris a ouvert une enquête de flagrance pour «tentative d’homicide sur personne dépositaire de l’autorité publique», un crime puni de la réclusion à perpétuité, et «dégradation volontaire par incendie». Dans la soirée, la police judiciaire a interpellé et placé en garde à vue quatre suspects, âgés de 19 à 21 ans, ainsi qu’un autre, plus âgé (32 ans), jeudi matin. Trois d’entre eux avaient reçu une interdiction de se rendre aux abords de la manifestation contre la loi travail organisée mardi. Interdiction dont l’un d’eux avait obtenu la suspension par le tribunal administratif. La juge des référés, saisie en urgence, avait considéré, sans se prononcer sur la véracité des affirmations, que la préfecture de police de Paris ne les étayait pas suffisamment. Antonin, adjoint pédagogique, se voyait ainsi qualifié de «membre très actif de la mouvance ultra-gauche, proche notamment de la structure de fait Action antifasciste Paris-banlieue (AFA)». Il aurait participé à des «manifestations qui ont généré des troubles importants à l’ordre public» et «à l’agression d’un militaire, hors service, engagé dans l’opération sentinelle dans la capitale», selon une note de la direction du renseignement de la préfecture de Paris. Faute d’éléments justificatifs, le tribunal a jugé que l’arrêté, pris sur le fondement de l’état d’urgence, portait une «atteinte grave et manifestement illégale à la liberté d’aller et venir et à la liberté de manifestation». Le frère d’Antonin fait aussi partie des militants placés en garde à vue dans cette enquête. Quatre d’entre eux, au «profil ultra-gauche», «ne parlent pas», selon une source judiciaire.

 

«Hordes sauvages». Six autres personnes ont par ailleurs été arrêtées pour leur participation à la manifestation interdite de mercredi, a annoncé Bernard Cazeneuve. Le ministre de l’Intérieur a froidement qualifié l’agression des deux policiers d’«actes de haine d’une extrême barbarie» et les auteurs de «hordes sauvages [dont] la violence, la brutalité traduisent un abandon de tous les principes d’humanisme qui sont au fondement de notre civilisation et des valeurs républicaines». Craignant d’autres violences lors du défilé contre la loi travail de jeudi, le préfet de police a prononcé de nouvelles interdictions de manifester. L’une des 19 personnes concernées, un doctorant en troisième année de thèse, s’est vu notifier l’arrêté à 3 h 20 dans la nuit de mercredi à jeudi, indique son avocate, Ainhoa Pascual, qui déplorait de ne pas pouvoir le contester devant les juridictions administratives dans de si courts délais.

Pierre Alonso